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enfin s’élancer, car il s’était déjà levé et semblait se ramasser sur lui-même pour bondir sur son rival ; mais Mercédès, riante et droite, leva sa belle tête et fit rayonner son clair regard ; alors Fernand se rappela la menace qu’elle avait faite, de mourir si Edmond mourait, et il retomba tout découragé sur son siège.

Danglars regarda successivement ces deux hommes à l’un abruti par l’ivresse, l’autre dominé par l’amour.

— Je ne tirerai rien de ces niais-là, murmura-t-il, et j’ai grand-peur d’être ici entre un ivrogne et un poltron : voici un envieux qui se grise avec du vin, tandis qu’il devrait s’enivrer de fiel ; voici un grand imbécile à qui on vient de prendre sa maîtresse sous son nez, et qui se contente de pleurer et de se plaindre comme un enfant. Et cependant, cela vous a des yeux flamboyants comme ces Espagnols, ces Siciliens et ces Calabrais, qui se vengent si bien ; cela vous a des poings à écraser une tête de bœuf aussi sûrement que le ferait la masse d’un boucher. Décidément, le destin d’Edmond l’emporte ; il épousera la belle fille, il sera capitaine et se moquera de nous ; à moins que, un sourire livide se dessina sur les lèvres de Danglars, à moins que je ne m’en mêle, ajouta-t-il.

— Holà ! continuait de crier Caderousse à moitié levé et les poings sur la table, holà ! Edmond ! tu ne vois donc pas les amis, ou est-ce que tu es déjà trop fier pour leur parler ?

— Non, mon cher Caderousse, répondit Dantès, je ne suis pas fier, mais je suis heureux, et le bonheur aveugle, je crois, encore plus que la fierté.

— À la bonne heure ! voilà une explication, dit Caderousse. Eh ! bonjour, madame Dantès.

Mercédès salua gravement.

— Ce n’est pas encore mon nom, dit-elle, et dans mon