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— Et pourquoi plaisanterie ? demanda-t-il.

— Mais parce que pour monter sur l’échafaud il faut avoir tué, assassiné, commis un crime enfin, et que selon toute probabilité je ne commettrai jamais de crime. Plaisanterie, n’est-ce pas ?

— Eh ! mon Dieu, oui, dit Cagliostro, plaisanterie comme tout ce que j’ai prédit.

La comtesse partit d’un éclat de rire qu’un habile observateur eût trouvé un peu trop strident pour être naturel.

— Allons, monsieur de Favras, dit-elle, voyons, commandons nos voitures de deuil.

— Oh ! ce serait bien inutile pour vous, comtesse, dit Cagliostro.

— Et pourquoi cela, monsieur.

— Parce que vous irez à l’échafaud dans une charrette.

— Fi ! l’horreur ! s’écria madame Dubarry. Oh le vilain homme ! Maréchal, une autre fois choisissez des convives d’une autre humeur, ou je ne reviens pas chez vous.

— Excusez-moi, madame, dit Cagliostro, mais vous comme les autres vous l’avez voulu.

— Moi comme les autres ; au moins vous m’accorderez bien le temps, n’est-ce pas, de choisir mon confesseur ?

— Ce serait peine superflue, comtesse, dit Cagliostro.

— Comment cela ?

— Le dernier qui montera à l’échafaud avec un confesseur, ce sera…

— Ce sera ? demanda toute l’assemblée.

— Ce sera le roi de France.

Et Cagliostro dit ces derniers mots d’une voix sourde et tellement lugubre, qu’elle passa comme un souffle de mort sur les assistans, et les glaça jusqu’au fond du cœur.

Alors il se fit un silence de quelques minutes.

Pendant ce silence, Cagliostro approcha de ses lèvres le verre d’eau dans lequel il avait lu toutes ces sanglantes prophéties ; mais à peine eut-il touché à sa bouche, qu’avec un dégoût invincible il le repoussa comme il eût tait d’un amer calice.