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— Alors Votre Majesté désire que la chose ait son cours ?

— Désire, entendons-nous, Sartines, désire n’est point le mot. Je voudrais pouvoir arrêter tout cela certainement ; mais que voulez-vous, c’est chose impossible. Le temps est passé où la royauté pouvait dire à l’esprit philosophique, comme Dieu à l’Océan : « Tu n’iras pas plus loin. » Crier sans résultat, frapper sans atteindre, serait montrer notre impuissance. Détournons les yeux, Sartines, et faisons semblant de ne pas voir.

M. de Sartines poussa un soupir.

— Sire, dit-il, si nous ne punissons pas les hommes, détruisons les œuvres, au moins. Voici une liste d’ouvrages auxquels il est urgent de faire leur procès ; car les uns attaquent le trône, les autres l’autel ; les uns sont une rébellion, les autres un sacrilège.

Louis XV prit la liste, et d’une voix languissante :

La Contagion sacrée, ou Histoire naturelle de la superstition ; Système de la nature, ou Lois du monde physique et moral ; Dieu et les Hommes, discours sur les miracles de Jésus-Christ ; Instructions du capucin de Raguse à frère Perduicloso partant pour la Terre Sainte…

Le roi n’était pas au quart de la liste, et cependant il laissa tomber le papier ; ses traits, ordinairement calmes, prirent une singulière expression de tristesse et de découragement.

Il demeura rêveur, absorbé, comme anéanti, pendant quelques instants.

— Ce serait un monde à soulever, Sartines, murmura-t-il ; que d’autres y essaient.

Sartines le regardait avec cette intelligence que Louis XV aimait tant à voir chez ses ministres, parce qu’elle lui épargnait un travail de pensée ou d’action.

— La tranquillité, n’est-ce pas, sire, la tranquillité, dit-il à son tour, voilà ce que le roi veut ?

Le roi secoua la tête de haut en bas.

— Eh ! mon Dieu ! oui, je ne leur demande pas autre chose à vos philosophes, à vos encyclopédistes, à vos thaumaturges, à vos illuminés, à vos poètes, à vos économistes, à vos folliculaires qui sortent on ne sait d’où, et qui grouillent, écrivent,