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chargé à balle, l’habitude de tuer un homme à chaque coup. Or, ce qu’il avait fait à balle sur un homme, il avait trouvé que c’était encore plus facile à faire à plomb sur un lapin ou sur un lièvre.

Et à ceux qui souriaient en l’entendant parler ainsi, le père Clouïs demandait :

— Pourquoi tirez-vous, si vous n’êtes pas sûr de toucher ?

Mot qui eût été digne de figurer parmi ceux de monsieur de La Palisse, si ce n’eût été la singulière infaillibilité du tireur.

— Mais, lui demandait-on, pourquoi monsieur le duc d’Orléans père, qui n’était point ladre, ne vous a-t-il accordé qu’un coup de fusil à tirer par jour ? — Parce que plus eût été trop, et qu’il me connaissait bien.

La curiosité de ce spectacle et la singularité de cette théorie rapportaient, bon an, mal an, une dizaine de louis au vieil anachorète.

Or, comme il en gagnait autant avec ses peaux de lapin et le jour de fête qu’il avait institué lui-même, et qu’il ne dépensait qu’une paire de guêtres, ou plutôt qu’une guêtre tous les cinq ans, et un habit tous les dix, le père Clouïs n’était pas du tout malheureux.

Bien au contraire, le bruit courait qu’il avait un magot caché, et que celui qui hériterait de lui ne ferait pas une mauvaise affaire.

Tel est le singulier personnage que Pitou allait trouver au milieu de la nuit, lorsque lui vint cette fameuse idée qui devait le tirer de son embarras mortel.

Mais, pour rencontrer le père Clouïs, il ne fallait pas être maladroit.

Tel que le vieux pasteur des troupeaux de Neptune, Clouïs ne se laissait pas saisir du premier bond. Il distinguait à merveille l’importun improductif du flâneur opulent, et comme il était déjà passablement dédaigneux avec ces derniers, que l’on juge de la férocité avec laquelle il expulsait la première classe de fâcheux.

Clouïs était couché sur un lit de bruyère, lit merveilleux et aromatique que lui donnait la forêt au mois de septembre, et qui n’avait besoin d’être renouvelé qu’au mois de septembre suivant.

Il était onze heures du soir environ ; il faisait un temps clair et frais.

Pour arriver à la cabane du père Clouïs, il fallait débusquer forcément d’une glandée tellement épaisse ou d’un roncier tellement opaque, que le bruit des déchirements annonçait toujours le visiteur au cénobite.

Pitou fit quatre fois plus de bruit qu’un simple personnage. Le père Clouïs leva la tête et regarda, car il ne dormait point.

Le père Clouïs était ce jour-là d’une humeur farouche. Un accident terrible lui était arrivé, et le rendait inaccessible à ses plus affables concitoyens.

L’accident était terrible en effet. Son fusil, qui lui avait servi cinq