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MÉMOIRES D’UN MÉDECIN.

qui disparut escorté d’une foule de gens qui lui offraient table et gîte, heureux d’héberger gratis un vainqueur de la Bastille, un ami de monsieur Bailly et du général Lafayette.

La tante ramassa l’écu, l’essuya et le mit dans la sébille, où il devait attendre, en compagnie de plusieurs autres, sa permutation en un vieux louis.

Mais en mettant cet écu venu chez elle d’une si singulière façon, elle soupira et réfléchit que peut-être Pitou avait le droit de manger tout, puisqu’il payait si bien.

LIX

PITOU RÉVOLUTIONNAIRE


Pitou voulut, après avoir satisfait aux premiers devoirs de l’obéissance, satisfaire les premiers besoins de son cœur.

C’est une bien douce chose que d’obéir, lorsque l’ordre du maître réalise toutes les secrètes sympathies de celui qui obéit.

Il prit donc ses jambes à son cou, et, suivant la petite ruelle qui va du Pleux à la rue de Lormet, faisant comme une ceinture verte de ses deux haies à ce côté de la ville, il se jeta à travers champs pour arriver plus vite à la ferme de Pisseleux.

Mais bientôt sa course se calma ; chaque pas lui rappelait un souvenir.

Quand on rentre dans la ville ou dans le village où l’on est né, on marche sur la jeunesse, on marche sur ses jours passés, qui s’étendent, comme dit le poêle anglais, ainsi qu’un tapis sous les pieds pour faire honneur au voyageur qui revient.

On retrouve à chaque pas un souvenir dans un battement de son cœur.

Ici l’on a souffert, là on a été heureux ; ici on a sangloté de douleur, là on a pleuré de joie.

Pitou, qui n’était pas analyste, fut bien forcé d’être un homme ; il amassa du passé tout le long de la route, et il arriva l’âme pleine de sensations à la ferme de la mère Billot.

Quand il aperçut à cent pas de lui la longue arrête des toits, quand il mesura des yeux les ormes séculaires qui se tordent pour regarder d’en haut fumer les cheminées moussues, quand il entendit le bruit lointain des bestiaux qui vivent et parlent, des chiens qui grognent, des chariots qui roulent, il redressa son casque sur sa tête, affermit à son côté son