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était tout le manifeste de cette bravoure de la reine, de sa conscience d’une force toute personnelle, et de la conscience en même temps d’une faiblesse qu’elle n’eût dû ni trouver chez son mari, ni révéler à des étrangers.

Mais Charny, était-ce un étranger ? mais Gilbert, était-ce un étranger ?

Non, ces deux hommes, au contraire, ne semblaient-ils pas élus par la Providence, l’un pour sauvegarder la reine, l’autre pour sauvegarder le roi ?

Charny répondit à la fois à la reine et à Gilbert ; il reprenait tout son empire, car il avait fait le sacrifice de son orgueil.

— Madame, dit-il, monsieur Gilbert a raison, il faut prévenir le roi. Le roi est aimé encore, le roi se présentera aux femmes, il les haranguera, il les désarmera. — Mais, demanda la reine, qui se chargera d’aller prévenir le roi ? la route est déjà coupée bien certainement, et c’est une entreprise dangereuse. — Le roi est au bois de Meudon ? — Oui, et si, comme c’est probable, les routes… — Que Votre Majesté ne daigne voir en moi qu’un homme de guerre, interrompit simplement Charny. Un soldat est fait pour être tué.

Et ces paroles prononcées, il n’attendit pas la réponse, il n’écouta pas le soupir ; il descendit rapidement, sauta sur un cheval des gardes, et courut vers Meudon avec deux cavaliers.

À peine avait-il disparu, répondant par un dernier signe à l’adieu qu’Andrée lui envoyait par la fenêtre, qu’un bruit lointain qui ressemblait au mugissement des flots dans un jour d’orage fit dresser l’oreille à la reine. Ce bruit semblait monter des arbres les plus éloignés de la route de Paris que, de l’appartement où l’on était, on voyait se dérouler dans le brouillard jusqu’aux dernières maisons de Versailles.

Bientôt l’horizon devint menaçant à la vue comme il l’était à l’oreille ; une pluie blanche et piquante commença de rayer la brume grise.

Et cependant, malgré ces menaces du ciel, Versailles s’emplissait de monde.

Les émissaires se succédaient au château. Chaque émissaire signalait une nombreuse colonne venant de Paris, et chacun, songeant aux joies et aux triomphes faciles des jours précédents, se sentait au cœur, les uns comme un remords, les autres comme une terreur.

Les soldats, inquiets et se regardant les uns les autres, prenaient lentement leurs armes. Pareils à des gens ivres qui essaient de secouer le vin, les officiers, démoralisés par le trouble visible des soldats et les murmures de la foule, respiraient péniblement cette atmosphère toute chargée de malheurs qu’on allait leur attribuer.

De leur côté les gardes du corps, trois cents hommes à peu près,