Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bras étendus entre de Launay et elle, et reçut au front le coup qui était destiné au prisonnier.

Étourdi par le choc, aveuglé par le sang, il porta en chancelant ses mains à son visage, et quand il put voir, il était déjà à vingt pas du gouverneur.

Ce fut en ce moment que Billot arriva près de lui, tirant Pitou à la remorque.

Il s’aperçut que le signe auquel on reconnaissait surtout de Launay, c’était que seul le gouverneur était tête nue.

Billot prit son chapeau, étendit le bras et le posa sur la tête du gouverneur.

De Launay se retourna et reconnut Billot.

— Merci, dit-il, mais quelque chose que vous fassiez, vous ne me sauverez pas. — Atteignons seulement l’hôtel de ville, dit Hullin, et je réponds de tout. — Oui, dit de Launay, mais l’atteindrons-nous ? — Avec l’aide de Dieu, nous le tenterons au moins, dit Hullin.

En effet, on pouvait l’espérer, on commençait à déboucher sur la place de l’hôtel de ville ; mais cette place était encombrée d’hommes aux bras nus, agitant des sabres et des piques. La rumeur qui courait par les rues avait annoncé qu’on leur amenait le gouverneur et le major de la Bastille, et comme une meute longtemps retenue le nez au vent, les dents grinçantes, ils attendaient.

Aussitôt qu’ils virent paraître le cortège, ils se ruèrent sur lui.

Hullin vit que là était le danger suprême, la dernière lutte ; s’il pouvait faire monter les escaliers du perron à de Launay, et lancer de Launay dans les escaliers, le gouverneur était sauvé.

— À moi, Élie ; à moi, Maillard ; à moi, les hommes de cœur, cria-t-il, il y va de notre honneur à tous !

Élie et Maillard entendirent l’appel ; ils firent une pointe au milieu du peuple ; mais le peuple ne les seconda que trop bien : il s’ouvrit devant eux et se referma derrière eux.

Élie et Maillard se trouvèrent séparés du groupe principal, qu’ils ne purent rejoindre.

La foule vit ce qu’elle venait de gagner et fit un furieux effort. Comme un boa gigantesque, elle roula ses anneaux autour du groupe. Billot fut soulevé, entraîné, emporté ; Pitou, tout entier à Billot, se laissa aller au même tourbillon.

Hullin butta aux premières marches de l’hôtel de ville, et tomba. Une première fois il se releva, mais ce fut pour retomber presqu’aussitôt, et cette fois de Launay le suivit dans sa chute.

Le gouverneur resta ce qu’il était ; jusqu’au dernier moment il ne jeta