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— Lequel de vous s’appelle Sébastien Gilbert ? demanda-t-il. — Moi, répondit un jeune homme de quinze ans, d’une beauté presque féminine, et qui, avec l’aide de trois ou quatre de ces camarades, apportait une échelle pour escalader le mur, voyant qu’il ne pouvait forcer la grille. — Approchez ici, mon enfant. — Que me voulez-vous, Monsieur ? demanda le jeune Sébastien à Billot. — Est-ce que vous voulez l’emmener ? s’écria le principal, épouvanté à la vue de ces deux hommes armés dont l’un, celui qui avait adressé la parole au jeune Gilbert, était tout couvert de sang.

L’enfant, de son côté, regardait ces deux hommes avec étonnement, et cherchait, mais inutilement, à reconnaître son frère de lait Pitou, démesurément grandi depuis qu’il l’avait quitté, et complètement méconnaissable sous l’attirail guerrier qu’il avait revêtu.

— L’emmener ! s’écria Billot ; emmener le fils de monsieur Gilbert ; le conduire dans cette bagarre ; l’exposer à recevoir quelque mauvais coup ! Oh ! ma foi ! non. — Voyez-vous, Sébastien, dit le principal, voyez-vous, enragé, vos amis ne veulent pas même de vous. Car enfin, ces Messieurs paraissent vos amis. Voyons, Messieurs ; voyons, jeunes élèves ; voyons, mes enfants, cria le pauvre principal, obéissez-moi ; obéissez, je vous le commande ; obéissez, je vous en supplie ! — Oro obtestorque, dit Pitou. — Monsieur, dit le jeune Gilbert avec une fermeté extraordinaire pour un enfant de son âge, retenez mes camarades si bon vous semble, mais moi, entendez-vous bien, je veux sortir.

Il fit un mouvement vers la grille. Le professeur le retint par le bras. Mais lui, secouant ses beaux cheveux châtains sur son front pâle :

— Monsieur, dit-il, prenez garde à ce que vous faites. Moi, je ne suis pas dans la position des autres ; mon père a été arrêté, emprisonné ; mon père est au pouvoir des tyrans ! — Au pouvoir des tyrans ! s’écria Billot ; parle, mon enfant, que veux-tu dire ? — Oui, oui ! crièrent les enfants, Sébastien a raison ; on a arrêté son père ; et puisque le peuple a ouvert les prisons, il veut que l’on ouvre la prison de son père. — Oh ! oh ! fit le fermier en secouant la grille avec son bras d’Hercule, on a arrêté le docteur Gilbert ! Mordieu ! cette petite Catherine avait donc raison ? — Oui, Monsieur, continua le petit Gilbert, on l’a arrêté, mon père, et voilà pourquoi je veux fuir, pourquoi je veux prendre un fusil, pourquoi je veux aller me battre, jusqu’à ce que j’aie délivré mon père !

Et ces mots furent accompagnés et soutenus par cent voix furibondes, criant sur tous les tons :

— Des armes ! des armes ! que l’on nous donne des armes !

À ces cris, la foule qui s’était amassée dans la rue, animée à son tour d’héroïques ardeurs, se rua sur les grilles pour donner la liberté aux collégiens.