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JENNY.

Comment ?

RICHARD.

Je repars dans une heure.

JENNY.

Sans moi ?

RICHARD.

Je ne puis tous emmener.

JENNY.

Eh bien ! je vous aurai toujours vu une heure : mais asseyez-vous.

RICHARD.

Vous vous ennuyez donc bien ici ?

JENNY.

Je m’ennuie loin de vous : je ne m’y ennuierais pas avec vous. Ce n’est point ma retraite qui me pèse, c’est votre absence. Si du moins vous répondiez à mes lettres !

RICHARD.

Vous devez bien penser…

JENNY.

Oh ! ne vous excusez pas : j’écrivais trop souvent. Souvent ce sont nos exigences à nous autres femmes qui vous refroidissent pour nous. Notre vie est toute à l’amour ; la vôtre se partage en vingt passions différentes ; nous devrions le comprendre. Moi surtout, qui chaque jour avais de vos nouvelles, — (Montrant des journaux.) car ces journaux me parlaient de vous. Quand je voyais les colonnes entrecoupées de ces mots : écoutez… écoutez braves…, je me disais, c’est lui qui parle ; oh ! si j’étais là pour partager son triomphe ! oh ! je serais trop heureuse.

RICHARD.

Vous savez qu’entre les privations que nous impose notre peu de fortune, vivre séparés est peut-être la plus nécessaire.

JENNY.

Je m’y suis soumise ; et si j’ai pleuré, j’ai eu soin du moins que mes lettres ne vous portassent point la trace de mes larmes.

RICHARD.

Elles n’auraient rien changé à notre position, et nous eussent rendus malheureux tous les deux.

JENNY.

La seule chose que vous craigniez était donc les embarras, et surtout les dépenses de la maison que vous seriez obligé de tenir, si j’étais près de vous ?

RICHARD.

C’est surtout la principale.

JENNY.

Eh bien ! cessez de la craindre. Des droits que me donne le titre de votre femme, je n’en réclame qu’un, celui de vivre près de vous, dans la solitude. J’ai peu le goût du monde, Richard, mais j’ai perdu mes parents, qui m’aimaient, et j’ai conservé le besoin d’être aimée. Eh bien ! seul vous irez dans ce monde où je figurerais mal. Retirée dans mon appartement, je vous verrai du moins le soir un instant : et si je ne vous vois pas, je saurai que vous êtes là, près de moi. Ah ! le voulez-vous ? nul ne saura que je suis votre femme, personne ne me verra, ne m’invitera.

RICHARD.

Vous êtes folle.

JENNY.

Parlons d’autre chose alors. Vous veniez me demander un sacrifice, dites-vous ?

RICHARD.

Loin de m’éloigner de mon but, cette conversation nous y ramène.

JENNY.

Voyons.

RICHARD.

De nouvelles circonstances qui tiennent aux chances politiques que je cours, ma position prête à changer, des engagements de partis, rendent encore notre séparation trop incomplète.

JENNY.

Quinze lieues ne vous paraissent-elles pas une distance assez considérable ? Depuis deux ans ne vous ai-je pas été totalement étrangère ? La voix publique seule m’apportait de vos nouvelles, et j’étais instruite en même temps que toute l’Angleterre de ce que faisait mon mari.

RICHARD.

Des reproches !

JENNY.

Des larmes.

RICHARD.

Les uns et les autres me sont insupportables.

JENNY.

Mais qu’exigez-vous donc ? au nom du ciel ! vous me faites mourir… Faut-il que je quitte l’Angleterre, le lieu où je suis née, la terre où reposent mes parents ? Eh bien ! j’y consens ! un jour encore pour pleurer sur leur tombe, et demain je pars. Mais au moins, Richard, dites-moi combien de temps durera cet exil. Oh ! dites-le-moi ! car un seul mot fera l’attente de toute ma vie : reviens !

RICHARD.

Vous vous trompez, Jenny, je n’ai pas l’intention de vous arracher à votre terre natale. Je n’ai pas le droit de vous vouer à l’abandon. Le sort fit une erreur en nous liant l’un à l’autre, ce n’est pas à vous de l’expier. Puis-je vous condamner à porter les liens d’un mariage qui ne vous rend pas épouse, qui ne vous fera pas mère ? ce serait une cruauté. Si une fatalité contre laquelle j’ai lutté longtemps nous sépare… je ne veux, je ne dois pas être un