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civile, son unique Dieu, l’abandonne ; le voilà privé des plus douces satisfactions de la vie ; le voilà banni sans retour du commerce des honnêtes gens : ainsi il lui importe bien plus qu’au reste des hommes, de disposer tous ses ressorts à ne produire que des effets conformes à l’idée de l’honnête homme ; ne craignez pas que, parce que personne n’a les yeux sur lui, il s’abandonne à une action contraire à la probité. Non, cette action n’est point conforme à la disposition méchanique du sage ; il est pétri, pour ainsi dire, avec le levain de l’ordre et de la regle ; il est rempli des idées du bien de la société civile ; il en connoît les principes bien mieux que les autres hommes : le crime trouveroit en lui trop d’opposition ; il y auroit trop d’idées naturelles et trop d’idées acquises à détruire. Sa faculté d’agir est, pour ainsi dire, comme une corde d’instrument de musique montée sur un certain ton ; elle n’en sauroit produire un contraire : il craint de se détonner, de se désaccorder d’avec lui-même ; et ceci me fait ressouvenir de ce que Velleïus dit de Caton d’Utique. « Il n’a jamais fait de bonnes actions, dit-il, pour paroître les avoir faites, mais parce qu’il n’étoit pas en lui de faire autrement [1] ».

D’ailleurs, dans toutes les actions que les hommes font, ils ne cherchent que leur propre satisfaction actuelle ; c’est le bien, ou plutôt l’attrait présent, suivant la disposition méchanique où ils se trouvent, qui les fait agir. Or, pourquoi voulez-vous que, parce que le philo-

  1. Nunquam rectè fecit ut facere videretur, sed quia aliter facere non poterat. Vell. Liv. 2, Ch. 35.