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L’UNIVERSITÉ DE PARIS AU XVe SIÈCLE

effroyables calamités sans que le génie des maîtres parisiens en parût obscurci.

Au moment de décrire l’état du Royaume après la bataille de Poitiers (1356), le P. Denifle écrit[1] :

« Nous voici en face de l’époque la plus funeste des annales françaises. L’époque de Jeanne d’Arc a été beaucoup moins désastreuse, quoiqu’elle eût pu le devenir, pour autant, si Jeanne d’Arc, n’eût pas empêché les Anglais de traverser la Loire. »

Quatre ou cinq ans après la bataille de Poitiers, Pétrarque écrivait[2] : « Les Bretons qu’on appelle Angles ou Anglais… ont tellement écrasé par le fer et par le feu le Royaume tout entier que moi, qui le traversais dernièrement pour affaires, j’avais peine à me persuader que c’était là le pays que j’avais vu autrefois. »

Un peu avant 1366, un témoin oculaire, le Bénédictin Francesco di Montebelluna, compose son Tragicum argumentum de miserabili statu regni Franciæ ; en 1366 ou 1367, Charles V fait présenter cette pièce au pape Urbain V ; et voici ce qu’on y lit[3] :

« Voyez combien de villes du royaume brûlées, combien de vieillards égorgés, de jeunes gens morts par l’épée, d’enfants étranglés, de femmes enceintes pourfendues ; voyez combien de vierges nobles et distinguées ont servi de jouets à la passion de ces bêtes féroces ; voyez combien de prêtres et de clercs de divers ordres ont été faits prisonniers ou massacrés, combien d’églises renversées, de monastères détruits ! Voyez que les chevaux ont été établis près de l’autel du Seigneur, les vierges consacrées à Dieu souillées, les saintes reliques jetées au vent ! Même les mains sacrilèges ne respectaient pas la sainte hostie. »

La vue de telles calamités évoque, en la pensée de l’auteur, le souvenir de la ruine de Troie, et il s’écrie avec le poète :

Crudelis ubique
Luctus, ubique paror et plurima mortis imago !

Or c’est à ce moment même que Jean Buridan formule des principes d’où sortira notre moderne Dynamique, énonce la loi de l’inertie, et, chassant du Ciel toutes ces Intelligences

  1. H. Denifle, La désolation…, t. II, p. 134.
  2. Francisci Petrarcæ Epistolæ de rebus familiaribus et variæ, studio et cura Iosephi Fracassetti. Vol. III, Florentiæ ; ep. XIV, p. 162.
  3. H. Denifle, La désolation…, t. II, pp. 314-315.