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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

langage de Bacon[1], à l’état de puissance actuelle ; il est apte à se mouvoir vers cette forme plus noble et plus parfaite, et ce mouvement est accompagné d’un changement de lieu ; c’est en lui conférant cette forme immatérielle, non en lui donnant la forme substantielle, que le ciel va le mouvoir de mouvement local. « En tant qu’il est en puissance actuelle, le grave n’est pas mû par la cause génératrice se comportant comme cause génératrice ; il est mû par cette cause considérée sous un autre rapport ; cette cause est motrice dans la mesure où elle maintient la forme [substantielle] dans la matière, où elle lui donne la plénitude, où elle accompagne la complète existence du corps. La vertu céleste, en effet, n’est pas seulement le principe de la génération ; elle est aussi le principe qui conserve la chose et qui en maintient la forme. Un grave donc est mû vers la forme par sa cause génératrice lorsqu’elle se comporte comme cause génératrice ; il est mû vers le lieu par la même cause génératrice, mais lorsqu’elle joue le rôle du principe qui accompagne, maintient et conserve l’existence du grave. »

Nous avons retracé les grandes lignes de la doctrine par laquelle Roger Bacon a tenté d’éclaircir toutes les difficultés que la théorie de la pesanteur présentait à un péripatéticien. Cette doctrine peut paraître bien étrange à l’esprit familier à notre moderne Mécanique. Et cependant, à regarder les choses de près et jusqu’au fond, sans se laisser piper par la diversité des formules, y a-t-il si grande divergence entre la pensée du maître ès-arts qui enseignait, vers 1250, et celle du physicien qui enseigne aujourd’hui ?

Voici un morceau de plomb. C’est là, pour Bacon, le composé pris dans son intégrité, avec sa matière et sa forme substantielle. Si on le considère ainsi en lui-même et tout nu, Bacon déclare qu’il ne contient aucun principe moteur. Ne sommes-nous pas du même avis ? Ne déclarons-nous pas que, par lui-même, ce morceau de plomb a une masse, mais n’a pas de poids.

Pour que ce morceau de plomb contienne un moteur, dit Bacon, il faut qu’il participe à une force céleste ; ce qui le mettra en mouvement, dirons-nous, c’est la résultante des actions exercées par les divers astres.

Bacon ajoutera que cette force reçue du ciel est plus ou moins parfaite, plus ou moins intense suivant que le grave est plus ou moins rapproché de tel lieu ; n’enseignerons-nous pas, nous

1. Voir : Quatrième partie, ch. premier, § IX ; t. VI, p. 106.

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