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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

Qu’on l’entende d’une manière ou qu’on l’entende de l’autre, le mot vide désigne quelque chose qu’aucune puissance naturelle ne saurait réaliser. Mais ce que ne peuvent faire les puissances de la nature est-il également interdit à la toute-puissance de Dieu ? C’est ce que Jean Buridan va examiner dans une seconde question[1]. Voici ce qu’il déclare à ce sujet :

« Quelques-uns de mes Seigneurs et Maîtres en Théologie m’ont fait des reproches de ce que, parfois, à mes questions de Physique, j’entremêle quelques considérations théologiques, alors qu’il n’appartient point aux artistes de le faire. Je leur réponds avec humilité que je voudrais bien n’être pas astreint à agir de la sorte. Mais tous les maîtres, lorsqu’ils débutent dans les arts, jurent qu’ils ne discuteront d’une manière déterminée aucune question purement théologique, l’incarnation par exemple ; ils jurent, en outre, que s’il leur arrive de discuter ou de trancher quelque question qui touche à la foi et à la théologie[2], ils la trancheront conformément à la foi et résoudront les objections comme elles leur paraissent devoir être résolues. Or, s’il est des questions qui touchent à la foi et à la Théologie, c’en est une, assurément, que celle-ci : Le vide peut-il exister ? Si donc je la veux discuter, il me faut, à moins d’être parjure, dire ce qui me semble devoir être affirmé selon la Théologie, et éviter comme il me semblera possible de le faire les raisons qui concluent en sens contraire. Or, ces raisons, je ne pourrais les résoudre si je ne les exposais. Je suis donc forcé de le faire.

» Je dis donc que nous pouvons concevoir le vide de deux manières différentes, comme on l’a expliqué en la question précédente ; des deux manières, il est possible, par la puissance divine, que le vide soit. Cela est pour moi objet de foi et non de preuve fondée sur une raison naturelle. Je n’entends donc aucunement le prouver, mais seulement dire de quelle manière cela me semble possible.

» À l’égard de la première manière de concevoir le vide, j’admets que Dieu peut faire un accident sans sujet, qu’il peut séparer les accidents des sujets qui les portent et les conserver après les avoir séparés ; il peut donc créer un simple volume (dimensio) sans qu’aucune substance coexiste à ce volume…

» À l’égard de la seconde manière de concevoir le vide, je crois que Dieu pourrait anéantir ce monde inférieur et conser-

1. Johannis Buridani Op. laud., lib. IV, quæst. VIII ; fol. IxxiU, col. d, et fol. lxxiiii, col. a et b.

2. Le texte dit, par erreur : philosophie.

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