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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

gions[1] affirment que Dieu pourrait créer un semblable corps sphérique absolument continu, qui remplirait tout l’espace occupé par ce Monde-ci. Cela admis, ceux qui parlent au point de vue de la Physique (loquentes physice) sont tenus de dire que ce corps ne serait pas en un lieu, car il n’y pourrait être ni par ses parties, ni par la portion ultime du corps contenant, car il n’y a rien hors de lui, rien qui le contienne. Ils en concluraient qu’il n’est pas de la nature (ratio) du corps d’être nécessairement en un lieu. » Cette conclusion est, en effet, celle qu’avait formulée Duns Scot[2].

Burley poursuit : « Mais on dira que Dieu pourrait mouvoir ce corps de mouvement local, soit qu’il lui donne un mouvement de rotation, soit qu’il lui impose un mouvement de translation qui transporte ce mobile à telle région de l’espace ; or, tout mouvement local requiert un lieu ; une fois donc admise l’existence de ce corps isolé, il faut lui accorder un lieu, et on ne peut lui accorder d’autre lieu qu’un lieu précédemment vide ; nous avons supposé, en effet, que Dieu avait créé ce corps, et rien d’autre ; il n’avait donc pas créé de lieu pour ce corps ; ce lieu donc a préexisté privé de tout corps.

» À cela, voici ce qu’il faut répondre : Si l’on admet qu’il existe un tel corps continu, et rien au dehors de ce corps continu, Dieu ne pourrait mouvoir ce corps d’un mouvement de* translation à moins de créer un lieu nouveau auquel il le transporterait. Il ne pourrait pas non plus le mouvoir d’un mouvement de rotation ; ou bien, s’il le mouvait d’un mouvement de rotation, ce ne serait pas un mouvement local, mais, plutôt, un mouvement de situation (motus situalis).

» Il me semble toutefois difficile d’éviter que les théologiens de notre religion et tous ceux qui croient à la création du Monde ne soient tenus d’admettre que le vide existe hors du Monde. Ils admettent, en effet, que Dieu, qui a créé ce Monde, en peut tout aussi bien créer un autre. Supposons donc que Dieu crée un second monde. Je pose alors la question suivante : Entre les surfaces convexes qui bornent ces deux mondes, y a-t-il ou n’y a-t-il pas une certaine distance ? S’il y a quelque chose entre ces surfaces, c’est le vide, car c’est un espace divisible qui ne renferme pas de corps, bien qu’il soit susceptible de recevoir un corps. Si, au contraire, il n’y a aucun intermédiaire

1. Loquentes cufuslibet legis. Le mot loquentes, traduction de motekallemtn, désigne, dans les versions latines d’Averroès, les théologiens.

2. Joannis Duns Scoti Quodlibeta, quæst. XI, quamtum ad prîmum.

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