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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

ni plein ni lieu ni vide. Ils se sont constamment opposés à ceux qui, suivant l’exemple des Stoïciens, voudraient étendre, hors du Monde, un espace (spatium), des dimensions séparées (dimensio separata). Mais cette attitude a mis Henri de Gand en un singulier embarras lorsqu’il a voulu admettre que Dieu pouvait, hors du Monde, créer un corps contigu à la sphère ultime ; et pour expliquer comment Dieu pourrait, à l’Univers entier, donner un mouvement de translation, Richard a dû concéder que Dieu créerait, tout d’abord, un espace autour de cet Univers.

Raymond Lull, au contraire, semble admettre l’existence d’un espace préexistant au Monde, créé par Dieu avant le Monde, afin que le Monde y trouvât son lieu. C’est grâce à l’existence de ce lieu séparé du Monde que le Monde pourrait, par Dieu, être mû de mouvement rectiligne. Telle est la doctrine qu’en termes fort obscurs, d’ailleurs, Lull expose à Socrate[1], son interlocuteur, afin de réfuter la proposition condamnée à Paris : « Dieu ne pourrait mouvoir le ciel d’un mouvement de translation, car le ciel laisserait un vide derrière lui. »

« Que ta raison, Socrate, s’élève au-dessus de ton imagination, écrit Lull, et considère ceci : Lorsque Dieu a créé le Monde, il a créé le lieu afin qu’en raison de ce lieu, le Monde pût être logé ; tout comme il a créé le principe par lequel le Monde pût avoir un principe (esse principiatus) ; de même, le temps a été créé afin que le Monde pût avoir existence dans le temps ; de même en fut-il de la quantité, du mouvement et d’autres choses de ce genre, afin que le Monde eût quantité et mouvement. Dieu a donc créé un lieu dont la substance réside en la substance du Monde (in substantia Mundi suslentatum) ; le Monde est logé dans ce lieu ; de même que ton corps se meut d’un lieu dans un autre sans abandonner son lieu essentiel ni sa surface ni sa couleur, de même Dieu peut mouvoir le ciel d’un mouvement de translation sans que le Monde quitte son lieu essentiel… »

1. Declaratio Raymundi per modum dialogi édita contra aliqaorum philosophorum et eorum sequacium opiniones erroneas et damnatas a oenerabili Pâtre Domino Episcopo Parisiensi. Cap. XLIX [Otto Keicher, Raymundas Lullus und seine Stellung zur arabischen Philosophie (Beitrage zur Gcschichte, der Philosophie des Mittelalters, Bd. VIT, Heft 4-5, Münster, 1S09) ; p. 143].

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