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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

ordonnée, qui ne peut produire ce que réprouverait la sagesse divine. Or, la production du vide, interdite à la toute-puissance ordonnée, ne le serait cependant pas à la toute-puissance absolue. C’est ce qu’enseigne Bacon en la seconde série de ses Questions sur la Physique, un peu avant de donner la réponse que nous avons rapportée.

À l’endroit qui nous intéresse maintenant1 2, Bacon se demande «si l’on doit admettre l’existence du vide au-dessous du ciel. » Il commence par préciser le sens de la question en déclarant qu’on y considérera le vide comme un espace séparé de tout corps mais doué de dimensions (dimensio separata). Il énumère d’abord les raisons que l’on peut invoquer en faveur de la possibilité du vide ainsi entendu. La première de ces raisons est la suivante :

« La puissance du premier Etre surpasse tout acte fini. Mais l’existence d’une telle dimension séparée est un acte fini. La puissance du premier Etre peut donc faire qu’une telle dimension vide existe d’une manière actuelle. >

À cette raison, Bacon objecte ce qui suit : « Je réponds que cela n’est pas vrai. En effet, une dimension est un accident ; or un accident ne peut exister sans un sujet qui le porte ; faire un accident sans sujet, c’est un acte qui n’est pas dans l’ordre (actus inordinatus). Cette dimension séparée pourrait donc bien exister en vertu de la puissance absolue (potentia abstracta) du premier Etre, car, ainsi entendue, cette puissance surpasse tout acte fini. Mais si nous parlons de ce que la puissance doit faire, de la puissance ordonnée (de debito potentie et ordinatione patentie), alors la puissance du premier Etre ne surpasse plus tout acte ; elle équivaut aux actes et aux effets qui sont dans l’ordre, qui sont possibles selon la possibilité des choses (ordinatis et possibilibus fieri secundum possibilitatem rei) ; de cette manière, il apparaît que faire le vide, ce serait faire une substance, ce qui entraîne le contraire de ce que l’on supposait. »

Ici, Bacon n’a pas regardé l’existence du vide comme une pure absurdité, puisqu’il admet, en Dieu, le pouvoir absolu de créer une dimension séparée. Mais partout ailleurs, il s’exprime d’une manière plus formelle et plus tranchante. En YOpus teriium a

1. Question.es supra librum phisicorum a magistro dicto bacuun. Dubitatur utrum sit ponere vacuum infra celum. (Bibliothèque municipale d’Amiens, ms. no 406, fol. 47, col. c.)

2. Rogeri Baconis Opus teriium, cap. XLIII. Ed. Brewer, p. 154.