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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

Cette division d’un grave en moteur et chose mue, que le Péripatétisme déclarait impossible, Thomas d’Aquin admet qu’elle peut se faire, du moins par la pensée ; la pensée distingue, d’une part, une forme, qui est la force motrice, la gravité ; et, d’autre part, non pas la matière première toute simple et toute nue, mais la matière première déjà pourvue de dimensions déterminées, le corps quantifié, qui occupe une certaine situation et qui résiste à la force lorsque celle-ci le veut amener à une autre situation. Bien que cette subdivision d’un poids en gravité et en corps doué d’une grandeur déterminée, ne se puisse faire que par la pensée, elle suffit pour que l’on puisse assimiler le mouvement des corps pesants ou légers au mouvement des corps célestes ; elle suffît à rendre caduque l’une des objections dressée par Aristote contre la possibilité du vide.

Bien courte est la phrase de Thomas d’Aquin que nous venons de citer ; que la brièveté ne nous en fasse pas méconnaître l’importance ; pour la première fois, nous venons de voir la raison humaine distinguer, en un corps grave, ces deux éléments : la forme motrice, c’est-à-dire, en langage moderne, le poids, et la chose mue, qui est le corpus quantum ou, comme nous disons aujourd’hui, la masse ; pour la première fois, nous venons de voir la notion de masse s’introduire en Mécanique, et s’y introduire comme équivalente à ce qui reste dans un corps quand on en a supprimé toute forme pour n’v laisser que la matière première quantifiée par des dimensions déterminées. L’analyse de Saint Thomas d’Aquin, complétant celle d’Ibn Bâdjâ, est parvenue à dissocier en un grave qui tombe, ces trois notions : le poids, la masse, la résistance du milieu, sur lesquelles raisonnera la Physique des temps modernes.

Un prochain chapitre nous montrera comment Jean Buridan, au cours du xive siècle, discernera le rôle joué par la masse dans le mouvement des projectiles ; cette masse, il l’identifiera, lui aussi, à la matière première quantifiée par des dimensions déterminées.

Cette masse, ce corps quantifié, résiste, dit Thomas d’Aquin, au moteur qui le veut transporter d’un lieu à un autre ; cette pensée lui en inspire une autre, qui est assez singulière, et que voici :

« Le Commentateur déclare que cet empêchement’qui provient du milieu, le mouvement des corps graves ou légers le requiert, afin qu’il puisse y avoir, a-u moins de la part du milieu, résistance du mobile à l’égard du moteur. Mais il vaut mieux dire