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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

que le moteur, c’est la forme. Comme on ne peut, en ces corps, poser, d’une manière actuelle, la distinction en moteur et chose mue, il est impossible qu’ils se meuvent en l’absence de milieu… » En effet, si un tel corps simple se mouvait sans être environné d’un milieu, on ne trouverait plus de résistance de la chose mue au moteur. Bien plus ; il n’y aurait plus absolument rien qui fût essentiellement la chose mue. » Par là, Averroès veut dire, assurément, que ce qui mérite essentiellement d’être appelé chose mue, c’est ce qui résiste à la gravité du poids, et cela, c’est le milieu.

Il a dit, il est vrai, qu’en un corps grave, la forme était le moteur et que la matière était la chose mue ; mais il a eu soin de remarquer que la chose mue, ainsi distinguée du moteur, existait seulement en puissance, en sorte que la distinction dont il s’agit ne peut être posée d’une manière actuelle.

Il le répète d’une manière plus précise encore en un de ses commentaires au De Cælo, où il reprend l’exposé des mêmes principes. « Dans une pierre, dit-iidans du feu, dans les autres corps simples, le moteur et la chose mue ne se distinguent pas l’un de l’autre d’une manière actuelle, comme ils se distinguent dans les animaux. Ici, le moteur et la chose mue, considérés en leur sujet, sont une seule et même chose ; leur différence est seulement une différence de point de vue fsecundum modumJ. Dans la pierre, par exemple, le moteur c’est le poids considéré comme étant, simplement forme ; et la chose mue, c’est encore le poids en tant que cette forme réside en la matière première. La cause en est que la matière première n’est pas un être en acte ; or la pierre est composée de gravité et de matière première. Il en est tout autrement dans un animal qui est composé d’un corps et d’une âme. »

En un grave qui tombe, la force motrice c’est le poids ; la chose mue, c’est encore le poids ; la chose mue est donc identique en réalité à la force motrice. Voilà la pensée qui se trouve au fond même de tous les raisonnements d’Averroès comme de ceux d’Aristote. Que de siècles et que d’efforts il faudra pour que, dans cette seule notion de poids, l’esprit humain arrive à distinguer clairement deux idées, celle d’une forme qui meut et celle d’une masse qui est mue !

1. Aristotelis De Cælo cum Averrois Cordubensis variis in eamdem eommen tarifs. Gommentaria magna, lib. IV, summa II, cap. unlcum, comm, 22.