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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

question, Ptolémée donnait[1] dans l’avant-propos de son œuvre, une réponse qui semble inspirée par la plus pure tradition platonicienne ; les postulats fondamentaux de l’Astronomie semblaient d’éternelles vérités, imposées avec la même autorité que des dogmes religieux. Mais bientôt l’Astronome de Péluse dut reconnaître que des règles aussi rigides laisseraient malaisément construire une théorie capable de sauver exactement les apparences ; ces règles, il les assouplit peu à peu jusqu’à les fausser ; il en vint enfin à professer cette doctrine : L’astronome qui cherche des hypothèses propres à sauver les mouvements apparents des astres ne doit connaître d’autre guide que la règle de la plus grande simplicité. C’est cette doctrine qu’il formule clairement en ce passage[2] :

« Il faut, du mieux qu’on le peut, adapter les hypothèses les plus simples aux mouvements célestes ; mais si cela ne réussit pas, il faut en prendre qui soient acceptables. — Ἀλλὰ πειρᾶσθαι μὲν ὡς ἔνι μάλιστα τὰς ἁπλουστέρας τῶν ὑποθέσεων ἐφαρμόζειν ταῖς ἐν τῷ οὐρανῷ ϰινήσιν, εἰ δὲ μὴ τοῦτο προχωροίη, τὰς ἐνδεχομένας. »

L’exacte représentation des mouvements célestes pourra contraindre l’astronome à compliquer graduellement ses suppositions ; mais la complexité du système auquel il se sera arrêté ne pourra être un motif de rejeter ce système s’il s’accorde exactement avec les observations : « En effet, si chacun des mouvements apparents se trouve sauvé à titre de conséquence des hypothèses, à qui donc encore semblerait-il étonnant que, de ces mouvements compliqués, pussent résulter[3] les mouvements des corps célestes.

» Qu’on n’aille pas considérer les constructions abstraites que nous avons agencées, afin de juger, par là, des difficultés mêmes des hypothèses. Il ne convient pas, en effet, de comparer les choses humaines aux choses divines ; il ne faut pas fonder notre confiance touchant des objets si haut placés, en nous appuyant sur des exemples tirés de ce qui en diffère le plus. Y a-t-il rien, en effet, qui diffère plus des êtres immuables, que les êtres continuellement changeants ? Ni rien qui diffère plus des êtres qui sont soumis à la contrainte de l’Univers entier que les êtres affranchis même de la contrainte qu’ils exercent ? »

  1. Voir : Ch. VIII, § X, t. I, pp. 485-487.
  2. Claude Ptolémée, Composition mathématique, livre XIII, ch. II ; éd. Halma, t. II, pp. 374-375 ; éd Heiberg, ΙΓ′, β′, pars II, pp. 532-534.
  3. τυμϐεϐηϰέναι, arriver par accident, ϰατὰ συμϐεϐηϰός ; en langage moderne, résulter de la composition d’autres mouvements.