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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

centre même de l’Univers : « Lorsque, dit-il[1], la sphère de Vénus tourne sur elle-même, Vénus, qui se meut, à son tour, en son propre épicycle, tantôt s’approche de la terre et tantôt s’en éloigne. Il en est de même des autres astres errants. Et cependant le Ciel, dans son ensemble, se meut, d’un mouvement unique et simple ».

Avec la netteté qui caractérise le génie grec, Xénarque a posé le dilemme :

Ou bien il faut renoncer à cet axiome de la Physique péripatéticienne, posé par Aristote, développé par Alexandre : L’essence céleste ne peut se mouvoir que de mouvements circulaires purs et simples, et le seul mouvement circulaire pur et simple est la rotation uniforme autour du centre de l’Univers.

Ou bien il faut rejeter le système astronomique des excentriques et des épicycles posé par Hipparque et développé par Ptolémée. Pour Xénarque, la solution du dilemme n’est pas douteuse. Non seulement le système de Ptolémée est fort du consentement unanime des astronomes ; mais il a pour lui une vérité que la simple observation suffit à manifester et qui ruine, à elle seule, l’axiome d’Aristote : Un même astre est tantôt apogée et tantôt périgée. Selon l’auteur du Πρὸς τὴν πέμπτην οὐσίαν, c’en est donc fait de la Physique du Stagirite ; elle doit disparaître pour faire place à l’Astronomie de la Syntaxe.

Les Péripatéticiens ne sauraient, sans résistance, accepter cet arrêt ; combattre l’Astronomie de Ptolémée et tenter de lui substituer un système de mouvements homocentriques va être une des tâches essentielles de ceux qui garderont fidèlement, les enseignements d’Aristote. Entre les hypothèses du Περὶ Οὐρανοῦ et les hypothèses de la Μεγάλη σύνταξις, Sosigène et Xénarque ont donné le signal de la lutte ; ils ont déclaré qu’elle serait nécessairement un duel à mort. Les premiers coups sont portés durant les derniers âges de la Science hellène ; mais la Science arabe, la Science chrétienne du Moyen Âge, la Science de la Renaissance verront se poursuivre ce combat dont l’histoire se confond presque avec l’histoire de l’Astronomie. La bataille ne prendra fin qu’au jour où le triomphe des hypothèses de Copernic tuera de la même mort les hypothèses d’Aristote et les hypothèses de Ptolémée.

Cette guerre apparaît plus ample encore si l’on remonte à ses causes premières ; elle met aux prises, d’une part, ceux qui veulent que la Physique se déduise d’un système philosophique déter-

  1. Simplicius, loc. cit. ; éd. Karsten, p. 19, col. a ; éd. Heiberg, p. 36.