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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Voici, en effet, comment il s’exprime[1] au sujet de la distance qui sépare la Terre du ciel des étoiles fixes : « Cette grande distance qui a été calculée n’est prise qu’au minimum ; car entre le centre de la Terre et la concavité des étoiles fixes, la distance ne peut nullement être moindre, mais il est possible qu’elle soit plusieurs fois aussi grande. En effet, l’épaisseur des corps des orbes n’a été déterminée par démonstration qu’à son minimum, comme il résulte des traités Des distances ; et, de même, on ne saurait déterminer exactement l’épaisseur des corps intermédiaires que, suivant Thâbit, le raisonnement nous force d’admettre entre chaque couple de sphères, ces corps n’ayant point d’étoiles entre lesquelles on puisse en faire la démonstration. Quant à la sphère des étoiles fixes, son épaisseur formerait un chemin d’au moins quatre ans de marche, comme on peut le conclure de la mesure de quelques-unes de ses étoiles, qui ont chacune un volume dépassant quatre-vingt-dix fois et plus celui du globe terrestre ; mais il se peut que l’épaisseur de cette sphère soit encore plus forte. Pour ce qui est de la neuvième sphère, qui impose le mouvement diurne à tout l’ensemble du ciel, on n’en connaît point la mesure ; car, comme elle n’a pas d’étoiles, nous n’avons aucun moyen d’en connaître la grandeur. »

La méthode par laquelle les astronomes grecs et arabes avaient déterminé les dimensions du système des astres nous paraît, aujourd’hui, singulièrement naïve ; volontiers, nous accueillerions d’un sourire dédaigneux cet ensemble de suppositions puériles : et cependant Maïmonide dont le sens critique est particulièrement aiguisé, dont l’esprit est prudent, parfois jusqu’au scepticisme, n’hésite pas à nommer cette méthode[2] : « une démonstration vraie, dans laquelle il n’y a rien de douteux. »

Un tel jugement peut nous surprendre, au premier abord. Mais écartons ce sentiment de surprise : chassons, pour un moment, de notre esprit, les connaissances qu’il a reçues en héritage et qu’un labeur sept fois séculaire a rassemblées ; replaçons notre raison dans l’état où se trouvait celle d’un astronome du douzième siècle ; examinons alors la méthode employée pour déterminer les distances des astres et leurs grandeurs ; nous ne manquerons certainement pas de la juger comme la jugeait Maïmonide.

  1. Moïse Maïmonide, Le guide des égarés, troisième partie, ch. XIV ; éd. Munk. t III, pp. 99-101. La distance donnée par Maïmonide est à peu près celle que donne Al Fergani, selon la note mise par Munk au bas de la page 99.
  2. Moïse Maïmonide, Le guide des égarés, deuxième partie, ch. XXIV : trad. Munk, t. II, p. 187.