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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

pour montrer qu’entre le récit de la Genèse et les documents les plus certains de la science profane, il n’y a nulle contradiction ; que Dieu a révélé d’emblée à Moïse des vérités que, nombre de siècles plus tard, les hommes se glorifieraient d’avoir réinventées. Elle inaugure cette suite de constructions, toujours croulantes et toujours reprises, qu’on nomme aujourd’hui le Concordisme. L’auteur de cette œuvre n’en était pas, d’ailleurs, à son coup d’essai dans le champ de l’Apologétique ; après avoir commenté et souvent combattu Aristote, il avait réfuté un à un les dix-huit arguments par lesquels Proclus avait prétendu établir l’éternité du Monde. Il se nommait Jean d’Alexandrie, et on l’appelait Philopon, le Grammairien ou le Chrétien.

Nous avons déjà, à plusieurs reprises, cité le traité de Jean Philopon Sur la création du Monde[1]. Ce traité est dédié à Sergius, patriarche d’Antioche ; il fut donc composé entre les années 546 et 549 qui bornent la durée du patriarcat de Sergius.

L’objection que Philopon se propose de ruiner est celle que tous les Pères de l’Église, d’Origène à Saint Augustin, avaient entendu résonner dans les écoles du Paganisme[2] : Ce que Moïse a dit de la création divine du Monde « est intolérable à ceux qui se targuent d’avoir étudié avec soin la composition de l’Univers ; la Physique que Moïse a développée ne s’accorde pas avec ce qui apparaît aux sens — Οὐ τοῖς φαινομένοις Μοϋσῆς πεφυσιονλόγηϰε σύμφωνα ».

À cette objection, d’ailleurs, Philopon n’a pas l’intention de répondre en démontrant que Moïse a, dans son récit cosmogonique, donné une solution satisfaisante des divers problèmes qui préoccupent les physiciens ; ce n’était pas le but que le Prophète se proposait d’atteindre :

« Que personne[3] ne réclame de l’ouvrage de Moïse les considérations techniques sur la nature qu’ont imaginées ceux qui sont venus après lui. Qu’on ne lui pose pas des questions telles que celles-ci : Quels sont les principes matériels des choses ? Vaut-il mieux n’en poser qu’un ou en admettre plusieurs ? S’il y en a plusieurs, quel en est le nombre et quels sont-ils ? Sont-ils les mêmes en toutes choses, ou différents en des choses différentes ? Quelle est la substance du Ciel ? Celle des êtres sublunaires en est-elle distincte ? Les mouvements de ces êtres sont-ils accompagnés de

  1. Joannis Philoponi De opificio mundi libri VII. Recensuit Gualterus Reichardi. Lipsiæ, 1897.
  2. Joannis Philoponi Op. laud., Προοίμιον ; éd. cit., pp. 1-2.
  3. Jean Philopon Op. laud., lib. I, cap. I ; éd. cit., p. 3.