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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

Saint Augustin se garde bien de donner dans le travers qu’il signale avec une si légitime sévérité ; en commentant la Genèse, il rapporte et expose divers avis : « Je n’affirme pas à la légère[1] une opinion unique au préjudice d’une autre exposition qui est peut-être meilleure ».

Ainsi, au sujet des eaux supra-célestes, l’Évêque d’Hippone présente des théories multiples et variées.

Contre les Manichéens, il pense[2] que les eaux supra-célestes figurent les êtres invisibles ; il ajoute qu’« il ne faut rien affirmer à la légère touchant cette question, car elle est obscure et bien éloignée des sens des hommes ; en tout cas, avant de chercher à comprendre, il faut croire ».

Dans son ouvrage inachevé De Genesi ad litteram, l’Évêque d’Hippone semble encore porté[3] à regarder les eaux supra-célestes comme une figure allégorique. « Il fut des personnes, ajoute-t-il, pour lesquelles la surface du Ciel était couverte d’eaux visibles et froides. En faveur de cette opinion, elles tiraient argument de la lenteur du mouvement de l’une des sept planètes ; cette étoile [Saturne], que les Grecs nomment Φαίνων, et qui est la plus élevée des planètes, parcourt le Zodiaque en trente ans ; si elle est si lente, c’est, disent ces personnes, qu’elle est voisine des eaux froides qui couvrent le Ciel. Je ne sais de quelle manière se peut défendre cette opinion auprès de ceux qui s’enquièrent avec curiosité de ces choses. Mais en ces questions, il ne faut rien affirmer à la légère ; il convient de les traiter avec précaution et modestie ».

Cet argument tire des propriétés de Saturne, Saint Augustin le reproduit[4] dans son ouvrage De Genesi ad litteram, mais en lui donnant une forme un peu différente et dont l’enchaînement logique se laisse mieux saisir ; la planète Saturne, dit-il, devrait être très chaude, car elle se meut très vite ; or, elle est froide (c’est, du moins, ce qu’enseigne l’unanimité des astrologues) ; ce froid ne se peut expliquer que par la présence des eaux supra-célestes.

Au lieu d’imaginer que la surface du Ciel est recouverte d’eaux congelées, d’autres imaginent[5] que l’eau y demeure suspendue à

  1. S. Augustini Op. laud., Cap. XX, 40 ; éd, cit., col. 261.
  2. S. Augustini De Genesi contra Manichœos liber primus, Cap, XI, 17 ; éd. cit., col. 181.
  3. S. Augustini De Genesi ad litteram opus imperfectum, Cap. VIII, 29 ; éd. cit., col. 232.
  4. S. Augustini De Genesi ad litleram liber secundus, Cap. V, 9 ; éd. cit., coll. 266-267.
  5. S. Augustini Op. laud., Cap. IV, 7 et 8 ; éd. cit., coll. 260-266.