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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

Origène avait certainement commenté ce verset[1] et il en avait donné une explication purement allégorique ; les eaux situées au-dessus du firmament figuraient, selon lui, les puissances angéliques ; les eaux inférieures représentaient les démons.

Dans une lettre à Jean de Jérusalem, dont Saint Jérôme nous a conservé le texte, Saint Épiphane reprochait vivement à Origène cette interprétation allégorique, qui lui semblait une erreur ; Jérôme partageait, à cet égard, l’avis d’Épiphane.

La plupart des Pères de l’Église voulaient que ce verset de la Genèse fût pris au pied de la lettre ; le firmament était un orbe solide ; à l’intérieur de cette sphère se trouvaient des eaux inférieures, celles qui recouvrent une partie de la terre ; à l’extérieur, demeuraient d’autres eaux.

De ces trois propositions, les deux premières s’accordaient fort bien avec la Physique du Stagirite ; l’existence des eaux inférieures ne pouvait faire l’objet d’aucun doute ; quant au Ciel, Aristote le croyait formé d’un certain nombre de globes solides emboîtés les uns dans les autres.

En revanche, l’existence de masses d’eau hors du lieu propre de l’eau, au delà de la dernière sphère céleste, contredisait à la conception du Monde qu’avait élaborée la Philosophie péripatéticienne et la plupart des philosophies antiques.

Les philosophes s’évertuaient donc à montrer aux docteurs chrétiens que ces eaux ne pouvaient subsister hors du Ciel, et les docteurs chrétiens s’efforçaient de réfuter leurs raisons. La plupart du temps, en cette discussion, la naïveté des objections rivalisait avec la puérilité des réponses.

Si le firmament est sphérique, disaient les philosophes que vise Saint Basile[2], comment l’eau pourra-t-elle tenir sans couler sur la convexité de cette sphère ? À quoi l’évêque de Césarée répondait : « Bien que le Ciel soit sphérique selon sa concavité interne, il n’est nullement nécessaire que sa surface externe ait la forme d’une sphère, qu’elle soit parfaitement tournée, que la superficie en soit partout lisse et polie ».

Le moindre des Péripatéticiens se fût gardé de poser une si sotte question ; si elle lui eût été posée, il n’y eût point fait si sotte réponse ; fort des enseignements d’une Physique selon laquelle l’eau et tous les corps graves tendent au centre du

  1. D. Julii Garnerii Prœfatio ad Opera S. Basilii, § IV. De aquis quæ super cœlos esse dicuntur [Sancti Basilii Opera, accurante Migne, tomus I (Patrologiœ grœcœ tomus XXIX), p. CLXXXVII].
  2. S. Basilii Homilia III in Hexaemeron, 4 [S. Basilii Opera accurante Migne, tomus I (Patrologiœ grœcœ tomus XXIX), coll, 59-60].