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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

pourrions-nous dire d’une chose qu’elle existe alors que la cause qui la fait être est aussi celle qui fait qu’elle ne sera pas ? Nous ne pouvons donc dire avec vérité que le temps existe, à moins d’entendre par là qu’il tend à ne pas exister. (Ut scilicet non vere dicamus tempus esse, nisi quia tendit non esse). »

Et cependant[1], nous proférons, au sujet du temps, des affirmations qui supposent l’existence, une existence stable et saisissable. Nous disons qu’un temps est long ou court, qu’il est plus long ou plus court qu’un autre temps. « Mais comment ce qui n’existe pas peut-il être long ou court ? Or le passé n’existe plus, le futur n’existe pas encore ». Quant au présent, si l’on prétend qu’il existe, du moins doit-on reconnaître qu’il n’a pas de durée.

Quelle est donc la solution de cette énigme ? Écoutons de nouveau Saint Augustin[2].

« Seigneur, laissez-moi chercher encore ; vous qui êtes mon espérance, faites que mon attention ne soit pas troublée.

» Si les passés et les futurs existent, je veux savoir où ils peuvent exister. Que si je ne suis pas encore en état de le dire, je suis certain, cependant, qu’en quelque lieu qu’ils existent, ils n’y existent ni sous forme de passés ni sous forme de futurs, mais sous forme de présents (scio tamen ubicumque sunt, non ibi ea futura esse, aut præterita, sed præsentia). S’ils y existaient, en effet, sous forme de futurs, ils n’y seraient pas encore ; et s’ils y existaient sous forme de passés, ils n’y seraient plus. En quelque lieu, donc, que des choses existent et quelles qu’elles soient, elles n’y sauraient être que présentes.

» Lorsqu’on nous fait un récit fidèle de choses passées, ce que le narrateur tire de sa mémoire, ce ne sont pas les choses qui sont passées, mais des mots conçus d’après les images de ces choses, images qu’en passant par nos sens, elles ont gravées dans notre esprit comme des empreintes.

» Mon enfance n’est plus ; elle est dans le passé qui n’existe plus ; mais lorsqu’il m’en souvient et que je la raconte, j’en vois l’image dans le temps présent, parce qu’elle existe encore dans ma mémoire…

» Souvent nous préméditons nos actions futures ; cette préméditation nous est présente, tandis que l’action que nous préméditons n’existe pas encore, car elle est future. »

« Ce qui est maintenant[3] coulant et clair, c’est que les passés

  1. Saint Augustin, Confessions, l. XI, ch. XV.
  2. Saint Augustin, Confessions, l. XI, ch. XVIII.
  3. Saint Augustin, Confessions, l. XI, ch. XX.