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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

des lieux qui s’étendent autour de ce monde-ci ; ils devront croire également de ces mondes, comme ils le croient de celui-ci, qu’aucune cause ne les saurait détruire… La substance de Dieu, ils ne la bornent pas, ils ne lui imposent aucune détermination, ils ne lui assignent l’étendue d’aucun lieu : ils pensent, comme il convient de le faire au sujet de Dieu, qu’elle est partout, tout entière, par une présence incorporelle ; vont-ils donc dire qu’elle est absente de l’immense espace de ces lieux extérieurs au monde, qu’elle occupe le seul lieu où se trouve ce monde-ci, ce lieu si exigu en comparaison de cette étendue infinie ? Je ne pense pas qu’ils aillent jusqu’à formuler de telles sottises.

» Puis donc qu’ils affirment l’existence d’un seul Monde, dont la masse corporelle est très grande, mais qui est, cependant, fini et qui réside, borné, en son lieu ; puisqu’ils déclarent qu’il a été créé par l’œuvre de Dieu ; ce qu’ils répondent à cette question : Pourquoi Dieu s’est-il abstenu de toute œuvre au sein de ces lieux infinis qui sont hors du Monde ? qu’ils se le répondent à eux-mêmes lorsqu’ils demandent : Pourquoi Dieu s’est-il abstenu de toute œuvre durant ces temps infinis qui ont été avant le Monde ? »

Cet argument touche au vif les Néo-platoniciens : il est sans force pour arrêter la critique des Péripatéticiens à l’encontre du dogme judéo-chrétien de la création ; les Péripatéticiens, en effet, laissent aux Platoniciens et aux Stoïciens la croyance en un espace infini qui environnerait le Monde ; cette croyance, ils la rejettent au nom de la Physique d’Aristote.

Ce que cette Physique enseigne au sujet de l’étendue finie du Monde, Saint Augustin va l’admettre ; mais, par voie d’analogie, il en va tirer une théorie de la durée, finie dans le passé, de ce même Monde : « Dira-t-on que ce sont conceptions vides que celles par lesquelles on imagine un lieu infini, alors qu’il n’y a pas de lieu hors de ce Monde ? Nous répondrons de même que ces temps écoulés pendant lesquels Dieu serait demeuré oisif sont des conceptions vides, car il n’y a pas eu de temps avant que le Monde ne fut ». Voilà l’énoncé de la théorie du temps que l’Évêque d’Hippone va développer.

Avant la création du Monde, il n’y avait pas de temps ; telle est la proposition que Saint Augustin s’attache à établir, en empruntant à Aristote sa définition du temps.

« Entre le temps et l’éternité, dit-il[1], on pose, avec raison, cette

  1. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib. XI, cap. VI.