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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

tions de Dieu. Dans ce temps infini dont tous les instants sont absolument semblables entre eux, comment Dieu, pour créer le Monde, aurait-il choisi tel instant plutôt que tel autre ? Il ne l’aurait pu faire qu’en vertu d’une détermination arbitraire, et sans raison, ce qui répugne à sa souveraine Sagesse.

En outre, avant l’instant de la création, Dieu n’a pas voulu l’existence du Monde ; à partir de cet instant, il a voulu cette existence. Prétendre cela, c’est poser une affirmation incompatible avec la nature immuable de Dieu.

Réfuter les objections des Néo-platoniciens contre l’innovation du Monde est un des soucis de Saint Augustin. Pour y parvenir, il rétablit, entre la théorie du temps et la théorie de l’espace, l’étroite analogie qui les doit rapprocher et que le Néo-platonisme méconnaît aussi bien que le Péripatétisme.

Les Néo-platoniciens, comme les Stoïciens, admettent[1] que le Monde a une grandeur bornée ; hors du Monde s’étend un espace infini ; cet espace pourrait contenir des corps et, cependant, il n’en contient aucun. L’Evêque d’Hippone, argumentant ad hominem contre Plotin et ses disciples, montre, tout d’abord, qu’on peut, à l’encontre d’une telle doctrine, dresser des objections semblables à celles qu’on oppose à la doctrine chrétienne de l’innovation du Monde.

« Ceux, dit-il[2], qui admettent comme nous que Dieu a créé le Monde, mais qui nous demandent en quel temps le Monde a commencé, devraient bien songer à ce qu’ils répondraient à cette question : En quel lieu le Monde a-t-il été fait ? De même, en effet, qu’on nous demande pourquoi il a été fait à tel instant, et non pas auparavant, il nous est loisible de demander pourquoi il a été fait où il est, et non pas ailleurs. Puisqu’ils imaginent, avant l’existence du Monde, une durée infinie, et qu’il leur semble impossible que Dieu soit demeuré oisif pendant cette durée, qu’ils conçoivent donc aussi, hors du Monde, un lieu d’étendue infinie ; et si quelqu’un vient leur dire que la toute-puissance de Dieu n’a pu faire défaut à ces espaces, ne seront-ils pas forcés de rêver, avec Épicure, à des mondes innombrables ? Entre eux et lui, il y aura cette seule différence qu’Épicure attribuait la génération et la dissolution de ces mondes au mouvement fortuit des atomes ; eux, au contraire, devront dire qu’ils ont été créés par Dieu qui ne pouvait, à leur avis, ne pas remplir l’immensité sans borne

  1. Voir : Première partie » Ch. V, §§ X, XI, XII XV, XVI ; t, I, pp. 308-320 et pp. 333-342.
  2. S. Aurelii Augustini De Civitate Dei lib. XI, cap. V.