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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

moment il dînera et ce qu’il mangera ? Mais est-ce de ces riens que nous parlons, lorsque dans les mœurs, dans les œuvres, dans le sort de deux jumeaux, nous montrons de très nombreuses et très grandes différences ? »

« Ne parlons que des plus célèbres »[1], poursuit Saint Augustin, qui choisit l’exemple d’Esaü et de Jacob. « Deux jumeaux sont nés si près l’un de l’autre que le second tenait le pied du premier ; et cependant, si grande fut la diversité de leur vie et de leurs mœurs, si dissemblables furent leurs actes, si différent l’amour de leurs parents, que la faible distance qui a séparé leurs naissances a suffi à les rendre ennemis l’un de l’autre. Dit-on simplement ici que l’un marchait tandis que l’autre était assis, que l’un veillait tandis que l’autre dormait, que l’un parlait tandis que l’autre se taisait ? Parle-t-on seulement de ces minuties dont ne peuvent tenir compte ceux qui notent, au moment de la naissance, la disposition des astres sur laquelle » les mathématiciens sont ensuite consultés ? »

La conclusion qui découle de là est manifeste : Puisque de si faibles différences d’horoscope changent à ce point la fortune d’un homme, il est illusoire de vouloir appliquer à un homme ce qu’aurait pu apprendre à l’astrologue l’observation du sort d’un autre homme. « Si de pareilles divergences[2] dépendent des quelques minutes qui séparent la naissance des deux jumeaux et ne doivent pas être attribuées aux constellations [telles que l’observateur les peut déterminer], comment, pour des hommes différents, les astrologues peuvent-ils, à l’inspection des constellations, annoncer de tels événements ? »

Cette argumentation contre l’hypothèse de Nigidius, Saint Augustin n’avait point eu à la créer de toute pièce ; ses prédécesseurs en avaient tracé une première esquisse.

Saint Basile avait déjà remarqué[3] que les tireurs d’horoscope étaient obligés d’admettre ce principe : « La plus petite, la plus courte différence de temps… suffit à l’existence d’une très grande différence entre deux naissances — Ὡς ϰαὶ παρὰ τὸ μιϰρότατον ϰαὶ ἀϰαριαῖον [χρόνον]… μεγίστης οὔσης διαφορᾶς γενέσει πρὸς γενέσιν ». À ce principe, il avait opposé le peu de précision que comporte la détermination de l’instant d’une naissance, et il avait conclu en ces termes : « S’il est impossible de déterminer avec précision le

  1. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib. V, cap. IV.
  2. Saint Augustin, loc. cit.
  3. S. Basilii Homilia VI in Hexaemeron, cap. V (S. Basilii Opera, éd. cit., t. I, coll. 127-130).