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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

Toutefois, Origène ne regarde pas comme impossible la succession d’une infinité de mondes différents les uns des autres. Il admet « qu’il peut exister successivement des mondes divers, dont les différences ne soient pas très petites, de telle sorte que l’état de l’un de ces mondes soit meilleur que l’état de l’autre en certaines choses bien manifestes, qu’il lui soit inférieur en d’autres choses, équivalent en d’autres encore. »

L’objection d’Origène contre la périodicité de l’Univers a mis en pleine lumière la raison pour laquelle aucune Cosmologie antique ne peut s’accorder avec la doctrine chrétienne. Sous toutes les formes diverses qu’elle a revêtues, la Physique hellénique garde une matière immuable ; la croyance au déterminisme absolu de tous les mouvements célestes, de tous les changements sublunaires est un des éléments essentiels de ce fonds constant ; nulle religion, nulle philosophie qui croit au libre arbitre humain ne pourra jamais accepter les principes essentiels de cette Physique.

Cette incompatibilité ne semblait pas toujours évidente à tous les Chrétiens, Dans son livre intitulé Περὶ ἄνθρωπου, Némésius, évêque d’Éphèse, donnait, de la palingénésie stoïcienne, un exposé que nous lui avons autrefois emprunté[1] ; à la fin de cet exposé, il ajoutait[2] : « Certains chrétiens disent qu’il nous faut concevoir la résurrection comme liée à cette restauration de l’Univers ; mais ils s’abusent étrangement ; les paroles de Jésus-Christ, en effet, nous enseignent que la résurrection n’aura lieu qu’une fois, qu’elle ne se reproduira pas suivant une révolution périodique, mais qu’elle sera l’effet de la puissance volontaire de Dieu. »

La séduction que la doctrine de la palingénésie exerçait sur l’esprit de certains chrétiens explique la fermeté avec laquelle Saint Augustin a combattu cette thèse. Ce par quoi elle l’a choqué, ce n’est point son incompatibilité avec le libre arbitre de l’homme, incompatibilité qu’avaient signalée Origène. Ce qui l’a frappé, c’est l’impossibilité où se trouve un chrétien d’admettre que le Fils de Dieu s’incarnera une infinité de fois, que Jésus-Christ aura, de nouveau, à souffrir et à mourir.

C’est dans son traité De la Cité de Dieu que l’évêque d’Hippone examine en détail la théorie qui fait du Monde un être éternel et périodique.

Nous le voyons, d’abord, comme s’il se préparait à l’attaque,

  1. Voir : Première partie, Ch. V, § VI ; t. I, p. 280.
  2. Nemesii Episcopi Emeseni De natura hominis cap. XXXVIII (Patrologiœ grœcœ, accurante J. P. Migne, 1. XL, coll. 759-760).