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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

Origène ne fausse pas la doctrine de la périodicité du Monde admise par maint philosophe païen ; Plutarque, nous l’avons vu[1], en formulait les conséquences avec la même précision.

Or l’Apologiste aperçoit du premier coup d’œil un corollaire de cette doctrine, qui la rend inacceptable à tout chrétien. Elle est en contradiction avec la croyance au libre arbitre humain. Le péché commis par Adam en ce monde-ci a été une faute volontaire, accomplie librement ; si un second monde, semblable au nôtre, succédait à celui-ci, le nouvel Adam, libre comme le premier, ne saurait être contraint de commettre la même faute ; il serait libre de ne point pécher, de faire en sorte, douc, que la vie du second monde ne fût point l’exacte reproduction de la vie du premier. Voici comment Origène formule cette objection à l’encontre de la périodicité universelle :

« Je ne crois pas que cette théorie puisse être soutenue par une raison quelconque, s’il est vrai que les âmes sont conduites à agir par la liberté du choix, si leurs progrès et leurs chûtes doivent être attribués à la puissance de leur propre volonté. Les âmes, en effet, ne sont pas contraintes d’agir suivant un certain cours qui, au bout d’un grand nombre de siècles, tourne de nouveau dans le même cercle ; ce n’est pas là ce qui les pousse à faire telle ou telle chose, à désirer ceci ou cela ; mais là où tend la liberté de leur génie propre, c’est là qu’elles dirigent le cours de leurs actions. »

Pour cette raison, donc, Origène condamne absolument la théorie qui fait revenir indéfiniment, au cours de l’éternité, des mondes exactement semblables entre eux.

« Ce que disent ces gens, écrit-il, ressemble à l’affirmation suivante : Si, deux fois de suite, on semait dans un champ une mesure de froment, il pourrait arriver que, la seconde fois, les grains tombassent tous exactement de la même manière que la première fois, de sorte que les grains de la seconde mesure se trouvassent répandus dans le même ordre et aux mêmes places que les grains de la première. Assurément, cela ne peut arriver aux innombrables grains d’une mesure, lors même que, pendant des siècles d’immense durée, on en recommencerait sans cesse la semaille.

» De même, il me paraît impossible que le Monde puisse être reproduit de telle sorte que les naissances, les morts, les actions de toutes sortes, y recommencent dans le même ordre et de la même manière. »

  1. Vide supra, t. II, pp. 298-299.