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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

vrai — si ce qui nous paraît contraire est toujours un mal pour le Monde ? Si, lorsque nous apprécions tous les événements de la nature par rapport à notre propre commodité, nous ne les incriminons pas au gré d’une injuste opinion ?

» Platon qui occupe, parmi les philosophes, le degré le plus élevé, le faîte, déclare, en ses commentaires, que ces terribles déluges et que res conflagrations universelles servent à purger la terre : cet homme sage n’a pas cru que cette rénovation des choses méritât les noms de destruction, de massacre, de ruine, d’extermination, de funérailles du genre humain ; il croit qu’il la faut comparer à une jeunesse nouvelle d’un Monde qui a reconquis sa vigueur première… Tous ces événements, qui arrivent à la masse de ce Monde, il ne les faut point peser au poids de nos petites commodités, mais au poids des raisons et de l’ordre de la nature entière. »

L’optimisme d’Arnobe rappelle de fort près celui de Chalcidius[1] ; et vraiment on serait tenté de croire que les Platonis commentarii dont nous parle le premier ne sont que le Commentaire du Timée rédigé par le second.

Nous avons vu[2] qu’Origène (vers 185-253), dans son Traité contre Celse, résumait fort exactement des doctrines des Stoïciens au sujet de la palingénésie ; lui aussi, d’ailleurs, était porté à voir, en l’hypothèse du ϰαταϰλυσμός et de l’ἐϰπύρωσις, des emprunts faits à la Bible par les philosophes païens.

Mieux informé des philosophies païennes que Saint Clément d’Alexandrie, que Minucius Félix et qu’Arnobe, Origène voit mieux l’irréductible antagonisme qui existe entre le dogme chrétien et la théorie de la périodicité du Monde.

« Ceux qui affirment, dit-il[3], l’apparition successive de mondes entièrement semblables, égaux en toutes choses les uns aux autres, je ne sais de quelles preuves ils pourraient étayer leur assertion. Si l’on prétend, en effet, qu’un second monde sera semblable en tout à celui-ci, il faudra qu’Adam et Ève y refassent exactement ce qu’ils ont fait en celui-ci ; le même déluge s’y reproduira ; le même Moïse fera encore sortir d’Égypte un peuple de six cent mille hommes environ ; Judas y trahira une seconde fois le Seigneur ; une seconde fois, Paul y gardera les vêtements de ceux qui lapideront Étienne ; il faudra admettre que tout ce qui s’est fait dans la vie de ce monde-ci, se refera une seconde fois. »

  1. Voir : Première partie, Ch. V, § VII ; t. I, p. 296.
  2. Voir : Première partie, Ch. V, § VI ; t. I, pp. 281-282.
  3. Origenis Περὶ ἀρχῶν libri, lib. II, cap. III, 4-5 [Origenis Opera omnia, t. I (Patrologiœ grœcœ accurante J. P. Migne, t. XI) Coll. 192-193].