Page:Duhem - Le Système du Monde, tome II.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
447
LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

nul ne met en doute la véracité, si ce n’est l’impie ou l’infidèle, nous sommes conduits à émettre cet avis : Au commencement du temps, Dieu a créé toutes choses, d’abord et tout ensemble ; de ces choses, il en est qu’il a créées sous forme de natures définitivement fondées (naturæ conditæ) ; il en est d’autres qu’il a créées sous forme de causes posées d’avances (crusæ præconditæ). À cet instant, donc, le Tout-Puissant a fait non seulement les choses présentes, mais encore les choses à venir ; et après les avoir faites, il s’est reposé. »

N’est-il pas clair que la théorie des rationes causales que Saint Augustin nous expose, en ces divers passages, offre de nombreux points de ressemblances avec la théorie stoïcienne des λόγοι σπερματιϰοί ? N’est-elle pas une sorte de christianisation de cette dernière ?


VIII
LES PÈRES DE L’ÉGLISE ET LA GRANDE ANNÉE

La notion péripatéticienne de matière première, éternelle et nécessaire, profondément altérée par Plotin, a dépouillé, entre les mains de Saint Augustin, ses caractères essentiellement païens ; elle a changé au point de ressembler à ce chaos, à ce bohou que Dieu, selon la Genèse, créa au commencement.

Être éternel, l’Univers était en même temps, au dire d’Aristote, au dire de toutes les philosophies païennes de l’Inde et de la Chaldée, de la Grèce et de Rome, un être périodique ; au terme de chaque Grande Année, il recommençait une nouvelle vie, toute semblable à celle qui venait de s’écouler ; chaque Grand Hiver ramenait un ϰαταϰλυσμός, un déluge d’eau ; chaque Grand Été était marqué par une ἐϰπύρωσις, par un embrasement.

Ce qui, dans cette théorie, frappa d’abord les docteurs chrétiens, ce n’en fut pas l’opposition aux dogmes catholiques, mais bien les analogies avec les traditions bibliques.

Ainsi, Saint Clément d’Alexandrie († 217)[1], qui cite ce que Platon a dit des déluges d’eau et de feu, qui connaît le nom d’ἐϰπύρωσις ; donné par les Stoïciens à l’embrasement général de l’Univers, Saint Clément, disons-nous, voit, dans ces enseignements

  1. S. Clementis Alexandrini Stromatum lib. V, cap. I, artt. 39-47 [S. Clementis Alexandrini Opera accurante Migne, t. II (Patrologiœ grœcœ, t. IX), coll. 21-24).