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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

φάντασμα μὲν ἔχειν ὄγϰου », Ce fantôme de grandeur géométrique sera quelque chose qui précédera le volume, qui préparera la matière première à le recevoir.

À ce caractère de la matière première, Plotin et ses disciples accordaient assurément une grande importance. Porphyre, qui a rédigé les Ennéades, en a comme condensé la substance dans ses brèves Tentatives pour atteindre les intelligibles, Πρὸς τὰ νοητὰ ἀφορμαί. Or, dans cet écrit, le disciple de Plotin nous dit[1], de la matière première : Elle est privée de toute forme, elle est changeante, elle est indéfinie, elle n’a aucun pouvoir « ἀνείδεος, ἀλλοῖος, ἄπειρος, ἀδύναμος… Elle est l’image et le fantôme du volume (εἴδωλον ϰαὶ φάντασμα ὄγϰου). Elle est ce qu’il y a de primitif dans le volume (τὸ πρώτως ἐν ὄγϰῳ) ».

« C’est pourquoi, ajoute-t-il, elle n’est pas être, mais non-être. Διὸ οὐδέ ὂν, ἀλλ’ οὐκ ὄν. Et sa non-existence n’est pas comme celle du mouvement ; mais elle est un véritable non-être, ἀλλ’ ἀληθινὸν μὴ ὄν. » Un péripatéticien eût dit qu’elle n’était pas un être en acte, mais un être en puissance Sous le nom de matière, Porphyre met le non-être au nombre des éléments qui constituent l’Univers ; par là, il va rejoindre les Atomistes. C’est précisément pour éviter de les suivre qu’Aristote avait, à côté de l’existence en acte, conçu l’existence en puissance, apanage de la matière première[2].

Ce que Porphyre vient de dire ne fait, d’ailleurs, que résumer la pensée de Plotin ; Plotin insiste[3] sur cette proposition : Puisque la matière première est, en puissance, tous les êtres, elle est elle-même un non-être.

« De ce qu’on nomme la matière première, nous disons qu’elle est, en puissance, tous les êtres. Comment donc pourrions-nous dire qu’elle est, en acte, quelqu’un des êtres ? Elle cesserait alors d’être, en puissance, tous les êtres… Mais si elle n’est aucune des choses qui sont en elles, et si ces choses-là ce sont les êtres, il faut qu’elle soit un non-être (μὴ ὂν ἂν εἴη). »

« Comment est-elle la matière des êtres[4] ? C’est, sans doute, en puissance. Dès là qu’elle est quelque chose en puissance, n’est-

  1. Plotini Enneades cum Marsilii Ficini interpretatione castigata. Iterum ediderunt Frid. Creuzer et Georg Henricus Moser, Primum accedunt Porphyrii et Procli Institutiones et Prisciani philosophi Solutiones. Ex codice Sangermanensi edidit et annotatione critica instruxit Fr. Dubner. Parisiis, Ambroise Firmin Didot, MDCCCLV. Porphyrti philosophi Sententiœ ad intelligibilia ducentes, XXI, p. XXXIV.
  2. Voir t. I, pp. 150-152.
  3. Plotini Enneadis IIœ lib. V, cap. IV ; éd. cit., p. 84.
  4. Plotini Enneadis IIœ lib. V, cap. V ; éd. cit., p. 84-85.