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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

quoi je ne m’arrêtai plus à mon imagination, qui ne me pouvait représenter que des corps tout formés, parce que, pleine de leurs images, elle les change et les diversifie comme il lui plaît ; mais je portai mon attention vers les corps mêmes, et considérai de plus près cette mutabilité qui les fait cesser d’être ce qu’ils étaient, et commencer d’être ce qu’ils n’étaient pas. Alors je commençai à entrevoir que ce passage d’une forme à une autre se faisait par je ne sais quoi d’informe qui n’était pas un pur néant… Il est donc vrai que la mutabilité de toutes les choses muables est capable de toutes les formes que ces choses, sujettes au changement, peuvent recevoir Mais qu’est-ce que cette mutabilité ?… Certes je dirais, s’il était permis, que c’est un néant qui, tout ensemble, est et n’est pas ; et toutefois, il fallait quelle fût en quelque sorte, pour être capable de recevoir ces formes visibles et si agréables. — Mutabililas enim rerum mutabilium ipsa capax est formarum' omnium in quas mutantur res mutabiles. Et hæc quid est ?… Si' dici pot est, Nihil aliquid, et, Est non est, hoc eam dicerem ; et tamen jam utcumque erat, ut species caperet istas visibiles et compositas. »

Lorsque la Genèse, pour désigner les créatures de Dieu, nomme le Ciel et la Terre, elle entend désigner, d’une part, les créatures spirituelles, les anges, dont l’existence est, après celle de Dieu, la plus parfaite qui soit, et, d’autre part, la Matière première qui, par son existence atténuée, confine immédiatement au néant.

« Mais d’où cette Matière première[1], en quelle sorte qu’elle fût, pouvait-elle tenir son origine sinon de vous, de qui toutes choses procèdent en tant quelles sont, quoiqu’elles se trouvent d’autant plus éloignées de vous qu’elles vous sont plus dissemblables (car ce n’est pas dans le lieu que cet éloignement consiste) ? Ainsi, mon Dieu, qui n’êtes point autre ici et autre là, mais toujours immuablement le même, qui êtes le Saint des saints, le Seigneur et le Dieu tout puissant, par ce principe qui est en vous, par votre Sagesse qui est née de votre substance, vous avez créé quelque chose et vous l’avez créé de rien… Vous étiez, et il n’y avait nulle autre chose dont vous eussiez pu faire le Ciel et la Terre, l’un qui approche de vous, et l’autre qui approche du néant ; l’un qui n’a que vous au-dessus de lui, et l’autre qui n’a rien au-dessous d’elle. — Tu eras, et aliud nihil unde fecisti cælum et terram, duo quædam ; unum prope te, alterum prope nihil ; unum quo superior tu esses ; alterum quo inferior nihil esset. »

  1. Saint Augustin, loc. cit., Ch. VII.