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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

l’objet de longues méditations, dont il s’est efforcé, dans un livre de ses Confessions, de fixer le résultat[1]. La matière première y apparaît comme le fonds entièrement indéterminé et à peine existant d’où toutes les choses corporelles sont issues ; créée de rien avant ces choses, la matière première les a précédées sinon dans le temps, dit moins par nature. Cette matière première, telle que Saint Augustin la conçoit, semble différer notablement de la ὕλη aristotélicienne ; elle n’en diffère pas seulement parce qu’elle est créée alors que la ὕλη est incréée ; bien que l’existence attribuée par Augustin à la matière soit une existence amoindrie, très voisine du néant, rien n’indique qu’elle se réduise à cette existence en puissance dont la considération caractérise la Philosophie péripatéticienne ; en un mot la materia augustinienne est plus voisine de la sylva de Chalcidius que de la ὕλη d’Aristote.

Citons quelques-uns des textes où la pensée de L’Évêque d’Hippone s’affirme avec le plus de force et de clarté.

C’est la matière première[2] que la Genèse désigne par ces paroles : Terra erat invisibilis et incomposita. « N’est-ce pas vous, mon Seigneur, qui avez enseigné cette vérité à cette âme qui vous parle ? N’est-ce pas vous qui m’avez appris qu’avant que vous eussiez formé cette matière sans forme, et que vous en eussiez distingué toutes les parties, elle n’était rien de particulier, ni couleur, ni figure, ni corps, ni esprit ? Ce n’était pas toutefois un pur néant (non erat onmino nihil), mais c’était je ne sais quoi d’informe qui n’avait aucune beauté ».

« … Pourquoi donc ne croirions-nous pas[3] que, pour vous accommoder à la faiblesse des hommes, vous avez voulu appeler du nom de « terre invisible et sans forme » cette matière informe dont vous deviez faire un Monde si beau et si admirable ? »

« … Ma raison me faisait bien voir[4] que si je voulais imaginer une chose entièrement informe, je devais la considérer comme dénuée de tout ce qui a la moindre apparence et la moindre trace de quelque forme que ce soit ; mais je ne le pouvais pas ; il m’était plus facile de croire qu’une chose qui était sans aucune forme n’était point du tout que de m’en imaginer une absolument informe, et qui, étant comme un milieu entre le néant et une forme parfaite, ne fût presque rien (quiddam inter formatum et nihil, nec formatum nec nihil, informe prope nihil). C’est pour-

  1. Saint Augustin, Les Confessions, livre XII.
  2. Saint Augustin, loc. cit., Ch. III.
  3. Saint Augustin, loc. cit., Ch. IV.
  4. Saint Augustin, loc. cit.. VI.