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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

Juif, chrétien ou païen, Chalcidius a sûrement été connu de certains Pères de l’Église qui se sont inspirés de son Astronomie et, surtout, de sa Physique ; sa science est une synthèse du Platonisme, de l’Aristotélisme et du Stoïcisme dont le commentaire, aujourd’hui perdu, que Posidonius avait composé sur le Timée, dont les écrits d’Adraste d’Aphrodisias et de Théon de Smyrne semblent avoir fourni les principaux éléments[1]. De l’Astronomie de Chalcidius, nous avons déjà dit quelques mots ; nous en parlerons de nouveau dans un prochain chapitre. Arrêtons-nous un instant à certaines pages de sa Physique.

Chalcidius vient de définir la Matière première, la Ὕλη, aristotélicienne, à laquelle il donne, par traduction littérale, le nom de Sylva : « Notre opinion est donc juste, dit-il[2], Sylva n’est ni feu ni terre ni eau ni air ; elle est la matière-principe et le premier fondement de tout corps ; en elle et de sa propre nature, il n’y a ni qualité ni quantité ni figure ni forme… »

« Qu’elle soit l’aliment et le fondement premier de tout corps, poursuit Chalcidius[3], on le prouve aisément par la conversion mutuelle des éléments les uns dans les autres, et par le changement incessant qu’éprouvent leurs qualités.

» La terre, en effet, a deux qualités qui lui sont propres, la sécheresse et le froid. Examinons donc maintenant comment la terre peut, par l’un des côtés de sa nature, se convertir en quelque autre élément. Dans l’eau, se trouvent de même deux qualités, le froid et l’humidité. La sécheresse est une qualité particulière à la terre et l’humidité est une qualité particulière à l’eau ; mais le froid est une propriété naturelle qui leur est commune. Lors donc que la terre dilatée se convertit en eau, sa sécheresse se change en humidité, mais le froid qu’elle possédait, et qui est commun à la terre et à l’eau, demeure en son propre état ; il n’est déjà plus dans la terre, il n’est pas encore dans l’eau. Il n’est plus dans la terre, dis-je, car ce qui a commencé à changer a cessé d’être terre ; il n’est pas davantage dans l’eau, car, tandis que le changement et la conversion se poursuivent, qu’elles ne sont pas encore achevées, il n’a pu encore passer dans la matière de l’eau. Il faut cependant que ce froid soit quelque part, car il ne saurait subsister s’il

    Commentaire de Chalcidius ; aussi croit-il que cet écrit a pu être composé au second siècle de notre ère.

  1. Voir, à ce sujet : B. W. Switalski, Op. laud..
  2. Chalcidii V. C. Commentarius in Timœum Platonis, CCCXIV (Fragmenta philosophorum grœcorum. Collegit F. G. A. Mullachius ; vol. II. p. 247 ; Parisiis, Ambrosius Firmin-Didot, 1867).
  3. Chalcidii Op. laud., CCCXV et CCCXVI ; loc. cit.