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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

gible, sa bonté rivalise avec le souverain Bien, car, sans relâche, elle se tourne vers le Dieu souverain… Comprendre est le propre de l’intelligence divine ; or ce qui est l’acte propre de l’intelligence est aussi l’intelligence éternelle de Dieu ; l’intelligence de Dieu est donc l’acte éternel par lequel Dieu comprend.

» Après cette Providence, vient le Fatum ; c’est la loi que Dieu promulgue harmonieusement à la Sagesse intelligente en vue du gouvernement des choses. À ce Fatum, succède ce qu’on nomme la seconde Intelligence, c’est-à-dire la triple Âme du Monde… »

« Résumons brièvement toutes ces choses, dit encore Chalcidius[1] ; voici comment il faut comprendre toute cette disposition :

» L’origine de toutes choses est le Dieu souverain et ineffable ; car tous les autres êtres participent de sa substance. Après lui vient un second Dieu, la Providence, qui est le législateur de l’une et de l’autre vie, de la vie éternelle comme de la vie temporelle. Le troisième Dieu est la substance qu’on nomme second Esprit ou seconde Intelligence ; il est comme le gardien de la loi éternelle. À ce Dieu sont soumises les âmes raisonnables qui obéissent à la loi ; puis les puissances qui en sont les ministres, à savoir la Nature, la Fortune, le Hasard et les Démons chargés d’examiner et de peser les mérites. Donc le Dieu souverain fait la loi, le second Dieu la codifie, le troisième Dieu l’impose ; quant aux âmes, elles acquiescent à la loi. »

C’est la pure doctrine de Plotin que nous trouvons ici, sous la plume de Chalcidius, comme expression de la pensée de Platon, et d’une pensée que le commentateur regarde comme dictée par l’instinct même de la vérité.

Ce « sectateur de la loi divine », qui paraît croire à la divine inspiration de Moïse, qui est si fort versé dans l’exégèse biblique, qui connaît les prescriptions légales des Juifs, et qui, en même temps, semble admettre pleinement la théorie des processions divines ébauchée par Philon et complétée par Plotin, ce Chalcidius était-il chrétien ? L’hypothèse paraît, maintenant, fort invraisemblable. Bien plutôt serions-nous portés à voir en lui un Juif ; cette supposition expliquerait l’importance toute spéciale que Chalcidius accorde à la Loi, dans sa doctrine des émanations[2].

  1. Chalcidii Op. laud., CLXXXVI ; loc. cit., p. 221.
  2. L’opinion que Chalcidius et son ami Osius étaient chrétiens semble probable à M. Switalski [B. W. Switalski, Des Chalcidius Kommentar zu Plato’s Timaeus. Eine historisch-kritische Untersuchung. Münster, 1902 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, herausgegeben von Clemens Bauemker und Georg Freih. von Holding, Bd III, Heft VI)] — M. Switalski remarque qu’Origène est l’auteur le plus récent dont il soit fait mention au