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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

teur parle des marées, sous une forme étrange ; voici ce qu’il en dit[1] :

« L’Océan (mare continens) est le principe… de toutes les mers, en ce qu’il se meut vers toutes les mers et que toutes les mers se meuvent vers lui.

» Des mers qui sont plus hautes que l’Océan, les eaux se meuvent vers l’Océan, parce que l’Océan est plus bas qu’elles. L’Océan, à son tour, se meut vers une telle mer et y déverse une partie de son eau par l’effet du mouvement qu’on observe en lui et qui consiste en une ascension de ses eaux ; cette ascension des eaux [de l’Océan] est comme le mouvement du vent ; ce mouvement, les Arabes le nomment mouvement d’extension ou de dilatation.

» Pour les mers qui sont plus basses que l’Océan, il y a une disposition de sens contraire. Les eaux de la mer inférieure se meuvent vers l’Océan par ascension, à cause du vent qui est engendré au sein de cette mer par la chaleur de la Lune ; l’Océan, à son tour, se meut naturellement vers la mer inférieure lorsque le premier mouvement prend fin, lorsque la mer inférieure se repose de ce mouvement. »

L’origine de ce passage étrange peut être aisément devinée. Les considérations fort justes par lesquelles Ératosthène rendait compte de l’alternance entre le courant de flot et le courant de jusant dans l’Euripe de Chalcide et dans le détroit de Messine[2] ont été, sans doute, lues par Averroès ; il les a mêlées avec des observations relatives à la marée océanique, et, de cette confusion, s’est formé l’exposé que nous venons de lire, il ne semble pas que les physiciens de la Chrétienté latine y aient attaché grande attention ; on ne saurait le regretter.

Moïse Maïmonide parlait des marées d’une manière plus exacte dans un passage auquel nous avons déjà fait allusion[3] ; le voici[4] :

« On sait, et c’est une chose répandue dans tous les livres des philosophes que, lorsqu’ils parlent du régime [du Monde], ils disent que le régime de ce monde inférieur, je veux dire du monde de la naissance et de la corruption, n’a lieu qu’au moyen des forces qui découlent des sphères célestes. Nous avons déjà dit cela plusieurs fois, et tu trouveras que les docteurs disent de

  1. Averrois Cordubensis In Aristotelis meteora expositio media, lib. II, cap. I. De mari.
  2. Vide supra, pp. 271-272.
  3. Voir : Ch XII, § V ; t. II, p. 221.
  4. Moïse ben Maimoun dit Maïmonide, Le guide des égarés, deuxième partie, ch, X ; éd. S. Munk, t. II, pp. 84-88.