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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

par suite de sa nécessité ou empêchés de la faire par suite de son impossibilité ».

Cet exposé de la doctrine qui exclut toute contingence, Abou Masar l’emprunte à Aristote[1] ; c’est aussi au Philosophe, il a soin de le déclarer, qu’il en demande la réfutation ; plus exactement, il s’inspire assez librement d’Aristote pour dresser, en faveur de la contingence, divers arguments ; citons-en seulement deux.

Premièrement : La connaissance d’une chose nécessaire ou d’une chose impossible s’étend également à tous les temps, au futur comme au présent et au passé ; nous savons que le feu a brûlé, qu’il brûle, qu’il brûlera ; nous savons également qu’il n’a jamais refroidi, qu’il ne refroidit pas, qu’il ne refroidira jamais. Il n’en est pas de même des choses contingentes ; nous savons qu’un homme a écrit, qu’il écrit ; mais nous ne savons pas si, dans l’avenir, il écrira ou n’écrira pas.

Secondement : Il arrive qu’une chose nous étant proposée, nous délibérons si nous la ferons ou ne la ferons pas ; puis, si nous décidons de la faire, nous délibérons encore pour savoir où, quand, comment nous la ferons ; c’est seulement après cette délibération que le parti en faveur duquel nous nous sommes déclarés se trouve mis en acte. Or, ni le nécessaire ni l’impossible n’ont besoin de délibération ni de conseil. « Par conséquent, il y a des choses contingentes. »

Après avoir ainsi établi qu’il y a dans le monde des choses nécessaires, des choses impossibles, enfin des choses contingentes, Abou Masar entend prouver qu’en chacune de ces trois catégories, l’action des étoiles s’exerce.

Les changements par lesquels les éléments et les corps qu’ils composent se résolvent les uns dans les autres, les accroissements ou les diminutions que ces corps subissent, voire les accroissements ou les diminutions des corps humains sont choses nécessaires. « Or, il est certain que les astres président aux mouvements des éléments et gouvernent les altérations des corps sublunaires. » Nous voyons donc que le gouvernement des étoiles s’exerce dans le domaine des choses nécessaires.

D’autre part, l’homme est composé d’une âme raisonnable et d’un corps ; la force de l’âme raisonnable consiste dans la délibération et dans le choix qui en est la suite ; la force du corps est également prête à exécuter l’une et l’autre décision (ad utrum-

  1. Aristote. Περὶ ἑρμηνείας, ch. IX (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. I, pp. 28-30 ; éd. Bekker, vol. I, pp. 18-19). — Vide supra, p. 296.