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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

qui éprouvent l’influence de cet astre et de quelle manière ils l’éprouvent.

Lorsque nous aurons reconnu, par exemple, que la substance qui forme la Lune est essentiellement une substance humide, nous saurons que tous les corps terrestres où l’eau se rencontre en abondance sont attirés par la Lune, à laquelle ils sont apparentés, nous saurons qu’ils croissent et se gonflent sous son influence ; de cette attraction exercée par le semblable sur le semblable, le flux que la mer éprouve en présence de la Lune sera un manifeste exemple.

Cette théorie astrologique, dans laquelle l’explication des marées se trouve impliquée, trouvera grande faveur auprès des astrologues de la Renaissance. Les livres des auteurs grecs et latins ne nous en offriront pas la formule explicite ; mais ils nous en montreront le germe et les premiers linéaments.

Déjà Posidonius disait, au rapport de Priscien[1] : « La Lune est chaude et humide, et c’est par cette force que l’eau est soulevée. »

« Le tempérament de la Lune, dit à son tour Plutarque[2], n’est point brûlant et sec, mais mou et humide ; nous n’éprouvons, de sa part, aucune action desséchante, mais bien une action qui humecte fort et qui rafraîchit ; elle détermine la croissance des plantes, la putréfaction des chairs ; elle produit la tourne ou la platitude du vin, la pourriture des bois et la fécondité des femmes. Je craindrais d’émouvoir et d’irriter Pharnace qui repose, si je citais, en outre, le flux de l’Océan et la crue des détroits qui, dit-on, s’enflent ou s’affaissent sous l’action humidifiante de la Lune (ὑπὸ τῆς σελήνης τῷ ἀνυγραίνεσθαι). »

Que la Lune règle la croissance des plantes ou des animaux gonflés d’humidité, c’était, pour les Anciens, proposition communément reçue.

Le poète Annianus fête les vendanges avec Aulu-Gelle[3] et quelques-uns de ses amis. Les huîtres qu’on leur sert sont maigres. « La Lune, dit Annianus, est sans doute sur son déclin ; aussi l’huître, comme beaucoup d’autres choses, est-elle petite et desséchée. » On lui demande quelles sont ces autres choses, « Et quoi, dit-il, ne vous souvient-il pas de ces vers de notre Lucilius ?

Luna alit ostrea, implet echinos, muribu’ fibras
Et pecui addit.


  1. Prisciani Solutiones, quæsl. VI ; éd. cit., p. 572.
  2. Plutarque, Dejaeie in orbe Lunte cap. XXV ; éd. cit., vol. II, p. 1150.
  3. Aulu-Gelle, Les nuits attiques, livre XX, ch. VIII.