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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

C’est cette possibilité de détacher l’ios de l’or et de le transporter sur d’autres métaux qui permet de réaliser la pierre philosophale. « La qualité or[1] est indépendante de la substance métallique qui en est le support. Lorsqu’on possède une matière en laquelle cette qualité réside, à la façon du principe essentiel d’une matière colorante, c’est la pierre philosophale, et l’on peut alors teindre en or les autres métaux et faire par là de l’or véritable. Toute la théorie des alchimistes réside dans ces notions subtiles. »

L’alchimiste Zosime de Panopolis, qui paraît avoir vécu au iiie siècle de notre ère, exprime assez clairement, dans son traité Sur la vertu et l’interprétation[2], les pensées que nous venons de résumer. « Traite la pyrite, dit Zosime, jusqu’à ce qu’elle soit jaune comme la couleur de l’or, et vérifie si le métal devient sans ombre… Traite donc jusqu’à ce que le cuivre, devenu jaune et sans ombre, teigne tout corps en or et devienne comme la couleur d’or.

» Il faut, dès lors, considérer et observer s’il devient jaune sans ombre, comme la couleur d’or ; s’il ne devient pas sans ombre, il ne peut teindre en jaune comme la couleur d’or. En effet, il n’est pas d’or [ou doré] quant à sa qualité, puisque ce sont certaines qualités qui rendent jaune ; car le mot qualité (ποιότης a pour étymologie le mot fabriquer (ποιεῖν). [Le jaune] produit une teinture, en raison de sa qualité dorée ; car il est évident que les actions exercées par les qualités sont, en quelque sorte, incorporelles. De là découle l’action de dorer ; attendu que si la couleur ne possède pas la qualité jaune dans sa propre substance, elle ne peut ni faire de l’or ni teindre en or. C’est là le grand mystère, que la qualité devient or et, alors, fait de l’or…

» Il convient d’admirer le concours des qualités ; car les actions incorporelles effectuées par leur concours ont accompli cette merveilleuse fabrication de l’or (χρυσοποιΐα), par la production d’une seule substance.

» La chaleur du feu, l’humidité de l’eau, le froid de l’air, toutes qualités concourant avec la sécheresse de la terre, ont forcé le corps de la magnésie de passer à la mutation et à la transformation. Où sont donc ceux qui disent qu’il est impossible de changer

  1. Berthelot et Ruelle, Op. laud., trad, françaises, p. 134 (en note) — Note de M. Berthelot.
  2. Zosime Sur la vertu et l’interprétation, 10 et 14 (Berthelot et Ruelle, Op. laud., textes grecs, pp. 126-127 et pp. 129-130 ; trad. françaises, pp. 133-134, et p. 135).