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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

au moins, résider au sein des sphères célestes. En effet, aux corps sublunaires soumis à la contrainte de l’Univers entier, s’opposent les corps célestes, affranchis même de la contrainte qu’ils exercent[1] : « … Καὶ τῶν ὑπὸ παντὸς ἂν ϰωλυθησομένων πρὸς τὰ μηδ’ ὑφ’ αὑτῶν ». L’âme divine qui est en nous n’y peut parvenir sans se détacher du corps animé qu’elle laisse ici-bas, soumis au destin, incapable d’échapper au sort que l’Astrologie lui annonce. L’extase ou la mort est la condition nécessaire de la liberté.

Ici encore, la doctrine de Plotin ne fait que formuler explicitement les pensées qu’on devinerait, implicites et diffuses, dans les écrits de beaucoup d’autres philosophes.

« Tous les cultes cosmiques » de cette époque[2], « celui des astres comme celui des éléments, sont sans doute interprétés par des adversaires comme l’adoration d’une Destinée ou d’une Nécessité à laquelle eux-mêmes se vantent d’échapper ; et cependant, chaque fois que nous avons des témoignages directs, nous voyons que ces cultes prétendaient, au même titre que les cultes adverses, apporter à l’homme le salut…

» D’une façon générale, l’image la plus simple de la libération de l’âme était celle d’une montée de l’âme jusqu’à la limite ou au-dessus de la sphère sublunaire, dans la région sacrée d’où émane la destinée et qui n’y est pas elle-même soumise. C’est ainsi que les « cultes cosmiques » pouvaient se donner et se sont même donnés comme des religions du salut. »

Une telle prétention était-elle justifiée par leurs propres principes ?

En sortant du monde sublunaire, l’âme échappe à la domination des astres ; conquiert-elle par là la liberté ? Qu’elle franchisse la sphère inférieure de l’orbe de la Lune pour prendre rang parmi les âmes astrales, qu’elle dépasse même la sphère suprême pour venir occuper une place parmi les dieux, on ne voit pas comment elle échapperait, par là, à la plus rigide des nécessités. Les astres, nous a dit la Théologie d’Aristote, n’agissent pas par volonté, mais par nécessité ; et de même en est-il, pour tout néoplatonicien, des dieux supra-célestes, de l’Âme du Monde, de la première Intelligence, voire de la Cause première ; de chacun d’eux, le bien déborde et s’épanche sur les substances qui se trouvent au-dessous de lui avec une nécessité parfaitement réglée,

  1. Claude Ptolémée Composition mathématique, livre XIII, ch. II ; éd. Halma, t. II, p. 374 ; éd. Heiberg, ΙΓ′, β′, pars II, p. 532.
  2. Émile Bréhier, La Cosmologie stoïcienne à la fin du Paganisme (Revue de l’histoire des Religions, t. LXIV, pp. 6-7, 1911).