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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

répandre au-dessus d’elle, car l’intelligence qui en épanche sans cesse n’a pas besoin d’un reflux qui viendrait de l’Âme ; alors celle-ci se retourne en arrière, comme si quelque limite la chassait ; elle transmet ses richesses à ce qui lui est subordonné ; elle comble le globe terrestre de lumière, de bien et d’honneur.

» Mais de tous les êtres qu’elle a produits, le meilleur et le plus parfait, c’est le monde des astres ; c’est lui, en effet, qui est le plus rapproché de la Cause première. L’Âme, donc, qui tenait sa forme de l’Intelligence, détermine, par son mouvement, une expansion de son essence et produit les mouvements multiples des planètes ; mouvements volontaires, naturels et uniformes…

« Comme les deux mondes spirituels, [celui de l’Intelligence et celui de l’Âme], éprouvent un mouvement substantiel, l’Âme naturelle, [c’est à-dire la Nature], est, par son désir, mise en mouvement vers ce monde intelligible, afin de se rendre semblable à lui ; mais sa faiblesse ne lui permet pas de monter ; alors elle se retourne en arrière, comme nous l’avons dit, et, comme si quelque honte la repoussait, elle innove au sein de l’orbe naturel, [qui est l’orbe sublunaire], les substances composées d’éléments ; les forces diverses qu’elle répand donnent à chacune de ces substances la portion de corporéité qui convient à leur nature. »

Les astres sont donc, par leurs mouvements, les intermédiaires qu’emploie l’influence de l’Âme du Monde pour parvenir jusqu’aux choses du monde sublunaire et imprimer en elles les formes dont leur essence les tend capables. Cet intermédiaire est indispensable. Aussi, après avoir décrit[1] comment l’Âme raisonnable est issue de la lumière émise par l’intelligence active ; comment « de la lumière de l’Âme raisonnable, sort la nature de l’Âme sensitive » ; comment, de la lumière de celle-ci, émane, à son tour, « l’Âme végétative, qui est fort distante de la pure lumière, qui est donc grossière, privée de la faculté de marcher et de respirer, qui n’a gardé que le pouvoir de la reproduction », la Théologie d’Aristote poursuit-elle en ces termes[1] :

« Enfin, de la lumière de cette Âme végétative provient la Nature. À cause de l’intervalle qui la sépare de la principale source « le lumière, cette Nature est privée de la ténuité incorporelle ; elle reçoit en apanage la masse corporelle et l’étendue à trois dimensions, ayant longueur, largeur et profondeur. Elle se meut d’un mouvement circulaire, simple et perpétuel, qui est le mouvement céleste ; ce mouvement a été institué par le premier

  1. a et b Aristotelis Theologia, lib. X, cap. II ; éd. 1519, fol. 46, vo, et fol. 47, ro ; éd. 1572, fol. 80, vo.