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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

une direction intérieure ce qu’elle a prévu. Dans les choses pourvues de masse, douées de matière, qui présentent la forme corporelle, la Nature a infusé des puissances, et c’est par ces puissances qu’elles les meut ensuite ; c’est par la pesanteur qu’elle meut la terre, par la légèreté qu’elle meut le feu. Comment s’étonnerait-on de voir les dieux, à bien plus forte raison, mouvoir les âmes par les puissances qu’ils ont mises en elles ? S’ils mènent donc les âmes suivant les lois du Destin, c’est que les lois du Destin sont dans ces âmes.

» Ces lois, elles tirent leur premier principe de la pensée du Démiurge ; car c’est en cette pensée que la loi divine a son fondement. Elles ont aussi leur principe dans les âmes divines ; car c’est suivant ces lois que ces âmes dirigent l’Univers. Mais ces lois participent encore des âmes partielles ; car si les lois du Destin conduisent chaque âme partielle au lieu qui lui convient, c’est à l’aide de cette âme même ; cette âme, en effet, se meut d’elle-même ; laissée à sa propre détermination, tantôt elle dévierait du droit chemin et tantôt elle y reviendrait ; mais grâce à la loi dont elle a été munie par ceux qui sont au-dessus d’elle, elle s’attribue la place qu’elle doit occuper.

» Aussitôt donc que les âmes commencent d’appartenir à ce monde, elles sont soumises à la force du Destin, force venue d’en haut et dérivée de la Providence ; elles reçoivent alors les lois du Destin. Le Démiurge a présenté la Nature à ces âmes comme une chose qui leur est étrangère ; mais ces lois, c’est, pour ainsi dire, en elles qu’il les a écrites. En effet, les ordres du Démiurge se propagent même au travers de la substance des âmes ; de même qu’il a déposé des raisons au sein des dieux qu’il a produits avant ces âmes, de même, a-t-il mis ces lois du Destin dans les âmes partielles. »

Nous venons de voir comment le Destin régit les âmes partielles, à partir du moment où elles sont descendues dans le monde inférieur et unies à des corps. Voyons maintenant comment les corps, supports des âmes, sont soumis à la « royauté du Destin ».

Il y a deux sortes de corps. Il y a, d’abord, les corps célestes, supérieurs au monde de la génération, véhicules d’âmes divines. « Puis, il y a une autre famille de corps, famille qui est soumise à la direction des premiers ; c’est une seconde catégorie de supports, subordonnée à la circulation divine ; ainsi les âmes unes se sont-elles subdivisées en d’autres âmes. »

C’est un des dogmes essentiels du Néo-platonisme alexandrin que le monde sensible est une image du monde intelligible ; la hié-