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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

forcée de ce fait que la Cause première ne reste point isolée, mais engendre d’autres substances.

« En effet, puisque le Bien ne demeure pas isolé, il est nécessaire qu’il soit le point de départ d’une série. Mais s’il en est ainsi, on peut dire du dernier terme, dans cette descente et cet éloignement, de celui après lequel il ne s’en peut rencontrer aucun, que celui-là est le mal. Or s’il n’y a nécessairement quelque chose après le Premier Bien, il est nécessaire aussi qu’il y ait une dernière chose. Cette dernière chose, c’est la matière première, qui n’a plus rien de ce premier Bien. Voilà donc ce qu’est la nécessité du mal. — Τοῦτο δὲ ἡ ὕλη μηδὲν ἔτι ἔχουσα αὐτοῦ. Καὶ αὕτη ἡ ἀνάγϰη τοῦ ϰαϰοῦ. »

Cette matière première, substance nécessaire et éternelle du mal en soi, Plotin la conçoit-il exactement comme la concevait Aristote ? Tant s’en faut. Nous aurons occasion bientôt[1], lorsque nous aurons entendu L’enseignement de Saint Augustin au su jet de la matière première, d’en rapprocher renseignement de Plotin ; nous verrons alors combien la ὕλη néo-platonicienne diffère de la ὕλη péripatéticienne. Pour le moment, nous ne nous attarderons pas à discuter cette question.

Manès était exactement contemporain de Plotin. L’enseignement que nous venons de rapporter était donc tout récent encore lorsque le Gnosticisme reçut l’afflux du Manichéisme. Inspiré par les doctrines du Zend-Avesta, préoccupé de la lutte entre l’éternel Génie du bien et l’éternel Génie du mal, entre Ormuzd et Ahriman, le Manichéisme postulait l’existence nécessaire et éternelle de deux principes, l’un bon, l’autre mauvais. Ceux qui combinèrent les doctrines de la Gnose, du Néo-platonisme et du Manichéisme ne purent manquer de s’accorder en cette affirmation : Le principe nécessaire et éternel du mal, c’est la matière première, la ὕλη. Aussi entendrons-nous les Pères de l’Église s’élever contre cette affirmation, dont, bien souvent, ils attribueront l’invention au chef même du Gnosticisme, à Valentin.

  1. Voir : Seconde partie, ch. I, § VI.