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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

je n’entends pas ici le néant absolu, mais seulement quelque chose qui soit autre que l’être (Μὴ ὂν δὲ οὔτι τὸ παντελῶς μὴ ὂν, ἀλλ’ ἕτερον μόνον τοῦ ὄντος)… [Ce non-être là], c’est l’Univers sensible (τὸ αἰσθητὸν πᾶν), ce sont toutes les propriétés de cet Univers, c’est toute conséquence de ces propriétés, tout ce qui leur advient à titre d’accident, tout ce qui leur sert de principe ; c’est chacune des choses qui remplissent cet Univers ; et voici ce qu’il est : Pour en acquérir une notion, il faut, à la mesure, opposer ce qui est privé de mesure ; à la définition, ce qui est indéfini ; à ce qui produit la forme, ce qui n’a point de forme (ἀμετρίαν εἶναι πρὸς μέτρον, ϰαὶ ἄπειρον πρὸς πέρας, ϰαὶ ἀνείδεον πρὸς εἰδοποιητιϰόν)… Et il ne faut pas que ces caractères ne soient en lui qu’à titre d’accidents ; il faut qu’ils en soient l’essence… Mais s’il est une chose qui les possède par sa substance même, le mal ne sera pas autre chose que celle-là ; il sera cette chose même. S’il y a, en effet, des choses auxquelles le mal survient d’ailleurs, il faut qu’il y ait une première chose qui soit le mal même, cette chose dût-elle n’être pas une substance (ϰἂν μὴ οὐσία τις ᾖ). De même qu’il y a le bien en soi et ce qui est bon par accident, de même faut-il qu’il y ait le mal en soi et ce à quoi le mal advient en particulier, par accident et d’autrui… S’il existe donc une substance sous-jacente à toute figure, à toute espèce, à toute forme, à toute mesure, à toute détermination ; une substance qu’embellit seulement un ornement d’emprunt ; qui ne possède rien de bon en elle ; qui soit, à l’égard des êtres, comme un fantôme, qui soit la substance (οὐσία) du mal (s’il peut, toutefois, y avoir une substance du mal), le raisonnement reconnaîtra que c’est le premier mal, le mal en soi (ϰαϰὸν πρώτον ϰαὶ ϰαθ’ αὐτὸ ϰαϰόν). »

Ce principe du mal, ce n’est pas la nature corporelle[1]. « Dans la mesure où elle participe de la matière, la nature corporelle (σωμάτων φύσις) est chose mauvaise ; mais elle n’est pas le premier mal ». Le mal en soi, c’est la matière première, la ὕλη. « La nature de la manière est mauvaise à tel point que, pour être rempli de sa malice, il n’est même pas besoin de résider en elle ; il suffit de jeter un regard sur elle. — Ἡ ὕλης φύσις, οὕτως οὖσα καϰὴ, ὡς ϰαὶ τὸ μήτω ἐν αὐτῇ, μόνον δὲ βλέψαν εἰς αὐτήν, ἀναπιμπλάναι ϰαϰοῦ ἑαυτῆς. »

Ce principe du mal est nécessaire et éternel[2] ; il est nécessaire et éternel au même titre que le Bien suprême, que la Cause première de tous les êtres, car son existence est une conséquence

  1. Plotini Enneadis primœ lib. VIII, cap. IV ; éd. Didot, p. 42.
  2. Plotini Enneadis primœ lib. VIII, cap. VII ; éd. Didot, pp. 44-45.