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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

sublunaire, sont conduits à mettre au compte de ces êtres divins non seulement les malheurs, mais les crimes et les vices. Ils n’hésitent pas à dire que telle planète est méchante. Bien plus ! Oubliant qu’un astre est un être exempt de changement, ils déclarent que telle planète est bonne ou mauvaise selon qu’elle est placée de telle ou telle manière par rapport à un autre astre. Ce sont là des affirmations que ne peut tolérer un philosophe.

Professer une telle opinion, d’ailleurs, « c’est n’attribuer aucunement à un seul Être l’autorité qui gouverne[1] pour attribuer tout aux astres ; comme si l’Univers entier ne dépendait pas de l’Être unique qui en est le président, qui donne à chaque chose, selon la nature qui lui appartient, le pouvoir d’achever ce qui est d’elle-même, de mettre en œuvre ses propres activités et, aussi, ce qui a été coordonné avec elle ! Ils méconnaissent et dissolvent la nature de ce Monde, qui est doué d’un Principe (Ἀρχή), d’une Cause première répandue en toutes choses ».

Les événements de ce Monde n’admettent donc pas d’autre cause que la Cause suprême ; les astres ne produisent pas les événement futurs ; cependant, ils les annoncent ; comment cela se peut-il faire ?

« Si les astres signifient l’avenir[2], de même que nous regardons beaucoup d’autres choses comme signes des événements futurs, d’où leur vient cette qualité ? Et quel est l’ordre qui préside à cela ? Car aucun signe ne pourrait annoncer des choses qui ne seraient point disposées suivant un certain ordre. Il y a donc, au Ciel, comme des lettres qui s’y écrivent incessamment, ou mieux, qui ont été écrites [une fois pour toutes] et que leur mouvement dispose ; en même temps qu’elles accomplissent une certaine autre œuvre, la signification qu’elles comportent dérive de cette œuvre. — Ἔστω τοίνυν ὥσπερ γράμματα ἐν οὐρανῷ γραφόμενα ἀεὶ ἢ γεγραμμένα ϰαὶ ϰινούμενα, ποιοῦντα μέν τι ἔργον ϰαὶ ἄλλο, ἐπαϰολουθείτω δὲ τῷδε ᾑ παρ’ αὐτων σημασία ». Le sens de ces lignes est clair ; chaque astre accomplit son œuvre en poursuivant sa marche propre ; cette œuvre ne consiste aucunement à annoncer les événements futurs, puisque chaque étoile ou chaque astre, pris isolément, n’a aucune signification astrologique ; seules les constellations, les figures formées par deux ou plusieurs astres fixes ou mobiles, prédisent l’avenir ; ce langage, aucune étoile ne circule en vue de l’écrire ; et cependant, il s’écrit par l’ensemble des circulations célestes, en vertu de la corrélation que la Cause suprême,

  1. Plotini Enneadis IIœ lib. III, cap. VI ; éd. cit., p. 64.
  2. Plotini Enneadis IIœ lib. III, cap. VII ; éd. cit., p. 64.