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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

les Stoïciens, dans cet ordre du Monde, il ne voit pas le résultat du hasard, mais l’effet d’une règle fixe et raisonnable qu’il déclare divine ; mais de cette règle, il ne cherche pas l’auteur dans un Dieu distinct du Monde ; c’est le Monde lui-même qui se l’impose en vertu de sa propre nature ; c’est au Monde qu’obéissent toutes les choses du Monde ; c’est le Monde qui est Dieu.

Ce fatalisme immanent au Monde, qui est à lui-même, son seul maître et son seul Dieu, Manilius l’invoquait pour justifier les principes de l’Astrologie. Il trouvait certainement, même en des temps plus récents, des adeptes parmi les Stoïciens qui, cependant, pour affirmer leur déterminisme, ne lui donnaient pas la forme chère aux Chaldéens. Alexandre d’Aphrodisias a connu des philosophes dont l’athéisme fataliste, aussi absolu que celui de Marcus Manilius, se formulait dans le langage de Chrysippe. Voici, en effet, ce qu’écrit Alexandre[1] dans son opuscule Sur le destin, Περὶ Εἱμαρμένης :

« Aux considérations précédentes, il ne sera pas mauvais de joindre ce que les fatalistes disent eux-mêmes du Destin, afin de voir si leurs propos ont quelque force…

» Ils disent donc que ce Monde est un ; qu’il comprend en lui tous les êtres ; qu’il est régi par une Nature qui est, à la fois, douée de vie, de raison et de pensée ; qu’il exerce, sur tous les cires, un gouvernement éternel qui procède suivant une certaine série et un certain ordre ; les événements qui précèdent deviennent les causes des événements qui les suivent ; toutes choses sont, de cette manière, liées les unes aux autres ; rien donc ne s’accomplit dans le Monde qui ne soit accompagné d’autre chose, que ne suive ce à quoi il sert de cause ; aucun des faits subséquents ne peut être détaché des faits antécédents, comme si celui-là n’était pas relié à quelqu’un de ceux-ci et tenu de l’accompagner ; tout événement qui s’est produit dans le passé a pour conséquence quelque autre événement, et celui-ci dépend nécessairement de celui-là comme de sa cause ; et tout ce qui advient est précédé de quelque chose dont il dépend comme de sa cause. Rien, dans le Monde, ne peut exister ni se produire sans cause, car il n’est rien, en lui, qui soit détaché et séparé de l’ensemble des événements antérieurs. Si l’on introduisait dans le Monde un seul mouvement dénué de cause, le Monde serait désagrégé et divisé, il ne garderait plus son éternelle unité, il ne serait plus

  1. Alexandrri Aphrodisiensis De fato cap. XIII. (Alexandrri Aphrodisiensis prœter commentaria Scripta minora, Edidit Ivo Bruns. Berolini, MDCCCLXXXXII, pp. 191-192).