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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

fut le maître, comme l’a voulu faire croire le premier qui ait construit les murailles du Monde à l’aide de tout petits grains et qui les ait résolues en ces petits corps…

» À qui fera-t-on croire que ces œuvres colossales ont été accomplies à l’aide de tout petits corps, sans qu’aucune volonté (numen) y préside, et que la création du Monde est l’effet d’un pacte aveugle ?

» Si c’est le Hasard qui nous a donné tout cela, c’est aussi le Hasard qui le gouverne. »

Or, l’ordre et la régularité que nous observons en toutes choses, au Ciel comme sur la terre, démentent cette proposition : nous pouvons donc affirmer cette conclusion : « Tout cela n’est point l’œuvre d’un grand Hasard, mais l’ordre imposé par une Volonté,


Non opus est magni Casus sed Numinis ordo. »


Nous avons entendu Manilius joindre ensemble ces deux affirmations : Le Monde est régi par une Volonté divine ; le Monde est Dieu. Plus précisément encore, au moment de nous enseigner que les destinées humaines dépendent du cours des astres, il va déclarer que cette Volonté divine qui ordonne et gouverne le Monde, c’est la Volonté même du Monde :

« La Nature, dit-il[1], principe et gardienne des choses cachées, a, d’abord, maçonné ces masses énormes pour en faire les murailles du Monde ; les astres répandus de toutes parts, elle les a enfermés dans un globe suspendu tout autour du centre de l’Univers ; de ce Monde, elle a, suivant un ordre précis, associé les membres divers en un corps unique ; elle a commandé que l’air, que la terre, que le feu, que l’eau se fournissent, l’un à l’autre, une mutuelle nourriture, afin que la concorde gouvernât toutes ces causes en lutte les unes avec les autres, afin que le Monde, lié par un pacte mutuel entre ses parties, demeurât stable, que rien ne fût laissé en dehors de la suprême Raison, et que tout ce qui fait partie du Monde soit régi par le Monde lui-même.


Et quod erat Muudi, Mundo regeretur ab ipso.


Alors aussi, elle a voulu que la vie et la destinée des hommes dépendît des astres. »

La doctrine de Manilius est très étroitement apparentée à celle des Stoïciens : comme les Stoïciens, Manilius aime à décrire l’harmonie qui unit entre elles les diverses parties du Monde ; comme

  1. M. Manilii Op. laud., lib. III, vers. 47-58 ; éd. cit., pp. 62-63.