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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

qui, par un juste pacte, met l’harmonie dans cette masse immense.

» Je dirai comment le Monde entier vit par un consentement mutuel, comment le mouvement d’une Raison le met en action ; je dirai qu’un Souffle (Spiritus) unique a établi sa demeure en toutes ses parties, qu’il imprègne le globe, qu’il voltige au travers de toutes choses, qu’il donne une figure à ce grand corps animé.

» Et en effet, si toute cette machine ne gardait la contexture que lui assure la communauté de nature de ses membres, si elle n’obéissait au Maître qui lui est imposé, si une Sagesse (Prudentia) ne gouvernait la multitude immense des choses du Monde, la terre ne demeurerait plus en sa place, les astres n’auraient plus de cours, le Monde égaré s’arrêterait dans une rigide immobilité. »

Si ces désordres, et d’autres que le poète se plaît à énumérer ne se produisent pas, c’est que[1] « toutes choses, dans le Monde, sont sagement administrées et que toutes suivent le Maître. Ici donc il y a un Dieu et une Raison qui gouvernent toutes choses et qui, du haut des signes célestes, mènent les êtres animés de la terre ».

Bien qu’infuse dans le Ciel, dans la terre, dans la mer, cette Raison divine qui gouverne le Monde sensible pourrait être distincte de ce Monde et d’une autre nature que lui ; telle l’Âme du Monde selon Platon. Ce n’est point là ce qu’entend Manilius. C’est le Monde lui-même qui est Dieu ; cet ordre harmonieux que nous y admirons, c’est le Monde même qui le met en lui ; la Volonté divine à laquelle toutes choses obéissent, c’est la loi que le Monde s’impose à lui-même. C’est ce que le poète va nous apprendre par les vers où il oppose son système à celui des Atomistes tels que Lucrèce.

Il décrit l’ordre régulier qui se remarque partout dans l’Univers, et poursuit en ces termes[2] :

« De raison plus immédiate que celle-là, je n’en vois point pour montrer avec évidence que le cours du Monde est régi par une Volonté divine, que le Monde même est Dieu,


Ac mihi tam præsens ratio non ulla videtur
Qua pateat Mundum divino numine verti
Atque ipsum esse Deum ;



pour montrer qu’il n’a pas résulté d’un concours dont le Hasard

  1. M. Manilli Op. laud., lib, II, vers. 80-84 ; éd. cit., p. 33.
  2. M. Manilli Op. laud., lib, I, vers. 485-489 ; 494-496 ; 531 ; éd. cit., p. 16-17.